Page:Driant - L’invasion noire 3-fin de l’islam devant Paris,1913.djvu/13

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Ma parole, mon pauvre ami, toujours ma parole ! Ah ! le Sultan savait bien ce qu’il faisait en nous la demandant ; mais c’est égal, un jour ou l’autre il se fera prendre : quand nous serons partis, nous serons dégagés de tout serment à son endroit, et si jamais Saladin et son ballon passent à ma portée… je ne les raterai pas…

— Oui, mais quand ? fit Zahner tendant le poing vers l’aérostat.

Et ils se turent, reportant leurs regards vers Stamboul, dont les lumières s’allumaient une à une pendant que les projecteurs électriques des vaisseaux commençaient à fouiller toutes les anfractuosités du rivage.

La nuit arrivait rapidement : la fusillade avait cessé partout et le canon de la flotte ne tirait plus que de loin en loin.

Cependant la tente du Sultan avait été orientée de telle sorte que la porte en fût tournée vers Constantinople, et, accroupi sur une natte, Abd-ul-M’hamed avait repris sa contemplation, le chibouk aux lèvres.

Un homme se dressa devant lui, il portait le costume européen et le fez turc ; maigre et osseux, il semblait flotter dans sa longue redingote noire.

Deux Soudanais se précipitèrent pour l’écarter : d’où sortait-il ? Personne ne l’avait vu arriver.

Il était sans armes, le Sultan fit un signe et le Turc s’allongea sur le sol, les mains levées au-dessus de sa tête.

— Qui es-tu ? demanda Abd-ul-M’hamed.

— Ne me reconnais-tu pas, Maître ?

Un Soudanais approcha une torche et le Sultan dévisagea un instant cette figure parcheminée, dans laquelle les yeux noirs, très renfoncés, s’abritaient sous des lunettes d’or.

Et au bout d’un instant

— Je t’ai vu quelque part, souvent même, c’est certain ; mais l’âge et l’éloignement ont affaibli ma mémoire. Nomme-toi !

— Je suis ton ancien médecin.

— Kaddour ! s’écria le Sultan, et ses yeux brillèrent. Kaddour ! toi ici, mais d’où viens-tu ?

— De Salonique, où l’usurpateur m’avait exilé. Dès que j’ai appris ta venue j’ai traversé la mer Egée, débarqué sur