Page:Driant - L’invasion noire 3-fin de l’islam devant Paris,1913.djvu/44

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Son visage d’un ovale parfait avait la pâleur de l’albâtre ; elle avait conservé la sveltesse des formes, chose rare en Turquie où les femmes deviennent à trente ans d’épaisses matrones envahies par la graisse ; mais son âge se lisait sur sa figure que la douleur avait émaciée et sur son front que striaient des rides profondes. Sous son masque grave et pâle, elle avait la beauté tragique que les statuaires anciens ont prêtée aux marbres de Lucrèce et d’Agrippine.

À ses pieds, une esclave de Circassie agitait doucement un grand éventail de plumes d’autruche.

Le Sultan s’était arrêté sur le seuil, laissant Hékim sous la colonnade extérieure.

Elle ne l’avait pas entendu entrer ; les yeux demi-clos, perdus dans un rêve lointain, elle se détachait dans le Kébou[1] comme une statue vivante sur un fond de brocart.

— Hézia ! dit Abd-ul-M’hamed d’une voix grave.

Les yeux de la sultane s’ouvrirent et devinrent fixes ; on eût dit qu’elle venait d’entendre une voix d’outre-tombe.

Elle ne bougea pas ; sans doute son rêve se précisait.

Mais le cimeterre du Sultan heurta une corniche de marbre et elle tourna lestement la tête.

Rien ne saurait peindre l’expression de terreur muette qui se répandit alors sur son visage.

Son premier mouvement fut de ramener sur sa bouche le voile tombé sur ses épaules ; mais, devant le maître d’autrefois, elle n’avait pas à se couvrir, et sa main retomba lasse le long du corps…

Puis, lentement, elle se leva ; une femme européenne, devant l’apparition tragique qui la surprenait ainsi, eût poussé un cri terrible, se fût évanouie après une crise de nerfs…

Les femmes arabes acquièrent dès leur plus jeune âge la résignation qui accepte tout et qui ne permet pas aux émotions de se répandre au dehors.

Dans les harems surtout, où nul contrôle ne pénètre, où

  1. Renfoncement voûté qui se trouve dans toutes les maisons arabes face à l’entrée.