Page:Du Camp - Paris, tome 1.djvu/53

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La lecture des lettres des particuliers était devenue le passe-temps favori de Louis XV, qui trouvait dans la satisfaction de cette malsaine curiosité un aliment et un divertissement pour son esprit corrompu. Les plus hauts personnages n’étaient point à l’abri de ces misérables investigations. Le 16 décembre 1740, Maurice de Saxe écrit au comte de Bruhl : « J’envoie à Votre Excellence le couvert (enveloppe) de sa lettre. Elle verra qu’elle a été ouverte d’une manière assez grossière : c’est apparemment un novice qui a fait le coup. » L’honnête Louis XVI voulut, au commencement de son règne, mettre fin à ces scandales d’indiscrétion, qui n’étaient plus un mystère pour personne, et répudier un tel moyen de gouvernement. Un arrêté du 18 août 1775 déclara que « la correspondance secrète des citoyens est au nombre des choses sacrées dont les tribunaux comme les particuliers doivent détourner les regards ». Cette probité sérieuse ne fut pas de longue durée. On influença la faible volonté du roi en invoquant la raison d’État et le cabinet du secret des lettres fut rétabli ; il fonctionnait activement peu de temps après l’arrêté que nous venons de rapporter.

On peut se figurer à quel point cette question soulevait toutes les consciences en parcourant les cahiers qui contenaient les vœux de la France, au moment où la Révolution allait éclater. Ils sont unanimes pour réclamer le secret des lettres, la suppression du bureau qui, à l’Hôtel des postes de Paris, a le droit d’ouvrir les correspondances, la responsabilité des agents et leur punition sévère en cas de délit. Ils demandent en outre que dans aucun cas, sans exception, une lettre ne puisse devenir un moyen ou un titre d’accusation « pour aucuns autres que celui auquel elle a été adressée ou celui par qui elle a été écrite ». Dès le lendemain de la prise de la Bastille, les vainqueurs pensent au cabinet noir.