Page:Du Camp - Paris, tome 1.djvu/88

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sage à Paris, les faiseurs de projets imprimés à la quatrième page des journaux, et qui, n’osant avouer leur nom, demandent qu’on leur réponde à des initiales indiquées ; à ceux-là les lettres ne sont remises que sur présentation de la quittance du fermier d’annonces : c’est là le moyen d’éviter les erreurs possibles ou les mauvaises plaisanteries.

Il est une catégorie de personnes qui fréquentent plus spécialement la salle de la poste restante : ce sont les jeunes femmes voilées et parlant d’une voix émue ; ce sont les amoureux traqués par la jalousie conjugale, qui entrent effarés, et regardent s’ils ne sont pas suivis ; ce sont des vieillards soignés, rafraîchis par toute sorte d’artifices, qui redoutent leur femme, se méfient de leur portier et arrivent en chantonnant tout bas : « L’amour est un enfant et Philis est sa mère ! » ce sont des collégiens, frisés chez le perruquier du coin, qui accourent, le dimanche, pour savoir si mademoiselle N…, des Délassements-Comiques, a répondu à leur pièce de vers ; ce sont les amoureux en un mot, et les trois quarts des lettres gardées au bureau restant leur sont destinées. Rien ne serait plus curieux que de passer une journée à examiner ces pauvres victimes de l’éternel vainqueur. La lettre est saisie avec empressement, ouverte d’une main fiévreuse, et alors c’est le rayonnement ou le désespoir ; si le jeune homme s’écrie : Elle est à moi, divinités du Pinde ! la femme tremblante dit avec un sanglot : Je ne t’ai point aimé, cruel ? qu’ai-je donc fait ? Il y a là, chaque jour, dans cette pauvre salle terne, grise, froide, des élans de reconnaissance et des cris de désolation qu’on ne peut soupçonner.

Nul n’a le droit, à moins qu’il ne soit délégué par la justice, de se faire délivrer une lettre qui ne lui est pas adressée ; il y a des maris malavisés et trop bénins qui ont été, avec simplicité, s’informer si la poste restante