Page:Du Camp - Paris, tome 2.djvu/10

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

gences essentielles de la nature humaine, avaient recours à des mesures empreintes d’empirisme qui, ne s’appuyant sur aucun principe économique, augmentaient le mal au lieu d’y porter remède. Lorsqu’en 1709 les soldats, à jeun depuis plus de deux jours, disaient au maréchal de Villars : « Notre père, donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien, » ils répétaient l’humble prière que la France adressait incessamment à ses rois. Ceux-ci n’étaient point sourds assurément, mais la constitution de l’État était si enchevêtrée d’inextricables privilèges, qu’ils pouvaient, comme Louis XIV, être réduits à manger du pain de disette, mais qu’ils étaient impuissants à nourrir leurs sujets affamés. On le vit bien après l’entrée aux affaires et malgré les efforts de Turgot.

Le blé, immobilisé par des édits, des arrêts, des déclarations des ordonnances contradictoires, qui souvent contraignaient de vendre et empêchaient d’acheter, ne pouvait arriver jusqu’aux lieux de consommation[1], pourrissait sur place, et le paysan, ce grand producteur de l’alimentation publique, écrasé par des charges énormes, ne trouvant plus aucune rémunération à son travail, laissait les champs en friche et abandonnait une culture qui ne lui procurait que la ruine et des avanies. Parfois, las de tant de misères, il saisissait sa cognée ou sa faux, et demandait à la violence une justice que la loi lui refusait. Il s’appelait alors les Jacques, les Pieds-nus, les Guillerys, les Croquants, les Ganthiers ; mais on en avait vite raison avec quelques arquebusades.

Le pauvre homme, rentré au logis, reprenait le hoyau et se remettait à fouir la terre, car il lui fallait payer

  1. Mme de Sévigné écrit, de Bourbilly, le 21 octobre 1673 : « Si vous n’aviez du blé, je vous offrirais du mien ; j’en ai vingt mille boisseaux à vendre ; je crie famine sur un tas de blé. » Lettres de Mme de Sévigné, etc., tome III, p. 249, éd. Hachette.