Page:Du Camp - Paris, tome 2.djvu/307

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de papier auxquels des lois léonines donnaient un cours forcé, qu’on ne put résister à la tentation.

L’État prêchait d’exemple, les individus le suivirent, et chacun se fit, pour son propre compte, fabricant d’assignats. Voici ce que raconte Mercier dans son Nouveau Tableau de Paris : « Le dogme de la souveraineté nationale fut confirmé d’une manière assez plaisante, car il fut un temps où chaque particulier se croyait en droit de battre monnaie. La disparition du numéraire avait donné cours à une foule de billets de petite valeur, émis par d’obscures maisons de commerce. Les épiciers, les limonadiers, écrivaient leur nom sur de petits morceaux de parchemin, et voilà du numéraire. Le délire fut poussé jusqu’au dernier excès ; chacun fit son écu[1]. » Le résultat ne tarda point à se faire sentir. La valeur réelle des assignats n’était plus en rapport avec la valeur nominative. La loi du maximum réussit à peine à les soutenir ; après le 9 thermidor, la chute dépassa toute prévision : un sucre d’orge d’un sou se payait 30 francs en assignats. Dès longtemps, les dix milliards de biens confisqués au clergé avaient été dépassés par des émissions ininterrompues. Dans certaines villes, une pièce de six liards valait 500 francs papier. Lorsque le Directoire, ne sachant plus de quel bois faire flèche, lança tout à coup vingt milliards de nouveaux assignats, il ne parvint même pas à leur faire produire cent millions en numéraire. Ce fut le dernier coup ; au delà, rien n’était plus possible, et le 30 pluviôse an IV (19 février 1796) on renonça définitivement à un si déplorable sys-

  1. On fit mieux que le petit écu ; on descendit à un sou et à moins encore, le tout assaisonné de rhétorique. Sur un assignat d’un sou qui eut cours dans le département du Nord, on avait gravé :

    Doit-on regretter l’or quand on peut s’en passer ?


    et sur un assignat de deux liards, émis par le même département :

    Ne me refuse pas au pauvre qui t’implore.