Page:Du Camp - Paris, tome 2.djvu/45

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chie. En présence de l’échafaud toujours dressé pour punir des crimes imaginaires, on oubliait les actes par lesquels les anciens parlements avaient, cent ans auparavant, emprisonné des hommes convaincus d’avoir acheté dix setiers de blé pour leur consommation personnelle.

En 1794, pendant l’hiver, la disette de viande se fait cruellement sentir à Paris ; la livre de bœuf monte subitement de 18 à 21 sous. Si l’on n’est pas en pleine famine, on y touche du moins de très-près, car la Commune prend un arrêté qui fixe le débit de la viande à une livre par tête et par décade. La rareté et le renchérissement consécutif des denrées dépassent tout ce qu’on peut imaginer ; aussi les Halles sont dégarnies dès neuf heures du matin. À minuit les queues commencent à la porte des boulangers et l’agneau se vend 15 francs la livre au marché de la Vallée. L’emphatique Barère croit avoir trouvé un moyen de calmer la faim générale. Dans la séance du 21 janvier 1794 il propose d’instituer un carême patriotique : « Jadis, disait-il, nous avons jeûné pour un saint du calendrier ; aujourd’hui sachons jeûner pour la liberté ! » En 1795, l’hiver est particulièrement rigoureux ; les rivières sont gelées ; les vivres n’arrivent pas, ni le bois non plus, qui monte jusqu’au prix incroyable de 400 francs la corde. Dans le faubourg Saint-Antoine des femmes criaient : un roi, mais du pain ! À l’automne, la livre de viande valait 21 sous, ce qui permettait encore d’en faire usage ; mais en ventôse elle coûte 3 fr. 10 sous, après qu’on a eu soin d’en enlever toute la graisse pour faire du suif, car on manquait de chandelles comme on manquait de pain. Sous le Directoire, la pénurie était si vive, et les approvisionnements se faisaient d’une manière si insuffisante, que deux braves bourgeois de Rouen, M. et madame Bapeaume, doués par la nature d’une obésité remarquable, n’osaient sortir de