Page:Du Camp - Paris, tome 3.djvu/342

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source ; je n’ai d’autre domicile que celui des gens qui consentent à m’emmener et je ne mange que lorsqu’ils veulent bien me donner à manger. » En 1865, elle est saisie de nouveau, et l’on reconnaît au dispensaire qu’elle est enceinte et galeuse. On la fait soigner ; guérie et sortie de l’hôpital, elle met au monde une petite fille le 28 décembre. Sa misère devient effroyable, l’hiver y ajoute. Dans la soirée du 18 février 1866, après être restée trois jours sans asile, sans manger, portant son enfant sur les bras, elle a chanté dans les cafés et les restaurants de bas étage ; elle a gagné trois francs. Elle a été frapper à la porte de plusieurs garnis qui tous ont refusé de l’admettre, soit parce qu’elle était seule, soit parce que, d’habitude, ils ne reçoivent que des hommes. Vers une heure du matin, harassée de fatigue, entendant son enfant crier, elle s’est assise sur le seuil d’une porte cochère de la rue du Rocher ; tout en allaitant sa petite fille, elle s’endort de lassitude. À cinq heures, le froid du matin la réveille ; elle tâte son enfant, il est glacé, il est mort. En vain elle court chez un marchand de vins qui ouvre sa boutique, au poste des sergents de ville de la rue de Vienne[1], rien ne peut ranimer le pauvre petit être qui vient d’échapper à la vie. Le frêle cadavre est porté à la Morgue et la mère est traduite en police correctionnelle, sous prévention de vagabondage et d’avoir causé par imprudence la mort de son enfant.

Acquittée et remise à l’administration, gardée momentanément au Dépôt, elle a horreur de la cellule, horreur de Saint-Lazare ; elle écrit au chef du service une lettre touchante : « Rappelez-vous, monsieur, que ma mère m’a mise aux Enfants trouvés et que ma pauvre petite fille est morte entre mes bras. Je suis pour la

  1. Ce poste, supprimé rue de Vienne, a été transféré rue de Naples.