Page:Du Camp - Paris, tome 3.djvu/371

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encore perdu toute notion du bien à l’un de ces bandits rapaces qui la dévorait vivante ; on lui expliquait ce que c’était que cet homme, et que le métier qu’il faisait était plus immonde que le sien ; elle répondit ce mot touchant : « Je le sais ; mais si je n’aime rien, je ne suis rien[1]. » Certains de ces hommes n’ont d’autre profession ; ils excellent dans l’art de découvrir quelque fille sage, avenante et jolie, de s’en faire aimer, de la débaucher graduellement, de lui apprendre à boire, de lui donner les premières notions du métier auquel ils la destinent, de briser en elle tout ressort de pudeur et de vertu, de la contraindre à l’inscription et de lui arracher ensuite sou à sou l’argent maudit qu’ils la forcent à gagner. Au fond du cœur de toutes ces filles, qu’elles soient traitées comme des duchesses ou malmenées comme des esclaves, il y a de l’amour pour un coquin. « Le cœur des femmes n’est fait que d’aimer, » a dit madame de Staël. Ces misérables, qui sont à tout le monde, il faut qu’elles aient quelqu’un qui soit à elles, et ne pouvant s’attacher leur amant par la tendresse exclusive, elles le retiennent par l’intérêt, en lui donnant tout ce qu’elles possèdent.

L’idéal de beaucoup d’entre elles est de trouver un mari qui joue auprès d’elles le personnage que je viens d’esquisser. Cela n’est pas facile à rencontrer ; quelques-unes y réussissent cependant, ce sont les plus rusées et peut-être les plus redoutables. Dès lors elles ont un état civil régulier ; elles sont à couvert, elles n’ont plus rien à craindre ; la présence du mari est une sorte de légitimation acceptée. Tout n’est point rose pour les coquins de bas étage qui ont signé ce contrat d’infamie, et parfois, chez eux-mêmes, dans leur propre maison, ils reçoivent des leçons à mourir de honte, s’il subsis-

  1. La prostitution à Paris et à Londres, par C.-J. Lecour