Page:Du Camp - Paris, tome 3.djvu/56

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lendemain ; lorsqu’ils ont pendant une heure seulement entendu cette musique infernale, ils sortent résolus à toute violence, s’y excitant et s’en faisant gloire. Pendant que ces chants d’énergumène sonnent encore dans leur souvenir, s’ils rencontrent sur les berges de la Seine ou sur les bords du canal un passant attardé, avant toute réflexion ils se jettent sur lui, l’assomment ou l’étranglent, le dépouillent et poussent le cadavre à l’eau. Sur des natures grossières, un tel enivrement conduit au crime. Ceux qui, arrêtés et interrogés, convaincus de meurtre dans de semblables circonstances, disent : « J’étais fou ! » ne mentent pas. Ils ont agi sous l’influence d’une perturbation nerveuse causée par un abus de sonorité admirablement combinée pour ébranler l’âme la plus forte et la mieux assise

L’aspect de ces mauvais lieux a dû être singulièrement modifié par le gaz ; autrefois, c’étaient des salles fumeuses à peine éclairées par un quinquet charbonneux et tremblotant ; à cette heure, la lumière y ruisselle et leur donne peut-être une apparence plus lugubre encore, car tout s’y aperçoit jusque dans les moindres détails. L’œil embrasse à la fois tous ces visages sur lesquels on s’épuise en vain à chercher la trace des crimes commis ; sous la grande clarté, il semble que les âmes mises à nu vont laisser pénétrer leur secret et que de ces cerveaux on va voir sortir les larves qui les habitent.

La férocité des mœurs n’apparaît réellement que pendant les querelles. Lorsque deux de ces bandits se disputent entre eux, on n’a garde de les séparer ; loin de là, on les excite, car un combat est un spectacle dont on est très-friand dans ces endroits-là. Quand l’insulte a été vive, lorsque l’injure vomie a été si bestiale qu’il faut en venir aux mains, ce n’est pas à coups de poings ni à coups de pieds qu’on s’attaque : c’est à coups de