Page:Du Camp - Paris, tome 5.djvu/150

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indispensable au développement de l’intelligence ? Les savants, les philosophes, les professeurs, les administrateurs, tous ceux en un mot qui, par fonction ou par goût, se sont occupés des sourds-muets, sont divisés à cet égard et s’appuient sur des arguments qu’il est utile de faire connaître.

Pour les uns, que j’appellerai pessimistes, l’infirmité domine, elle oblitère les voies intellectuelles et enferme l’enfant dans des limbes obscurs dont jamais il ne parvient à sortir complètement. Selon eux, le sourd-muet côtoie les choses et ne les pénètre pas, car l’ouïe est l’ouverture de l’entendement ; l’action d’entendre conduit à l’action de concevoir : les yeux voient, l’esprit conçoit et ne conçoit que par la parole, dont le champ est illimité. Les premières idées naissent chez l’enfant en même temps que se forme son vocabulaire, et l’éducation cérébrale se fait au fur et à mesure que ce vocabulaire est augmenté. Il faut peut-être avoir bégayé les puériles onomatopées du premier langage pour pouvoir dans la suite s’élever à la conception de l’idée de Dieu, et à la compréhension des phénomènes naturels.

Un sourd-muet qui recouvrerait miraculeusement l’ouïe, et par conséquent la parole, à l’âge de vingt ans, ne pourrait jamais s’assimiler un certain nombre d’idées abstraites. C’est le don de la parole qui fait de l’homme un être humain. Saint Jean a dit : In principio erat verbum ; en exagérant le sens, on peut dire que le verbe est principe de tout ; sans lui, le monde physique est souvent incompréhensible et le monde moral ne s’ouvre pas. On n’élève le sourd-muet que bien difficilement au-dessus de la sensation ; l’idée, avec toutes ses conséquences, lui échappe le plus souvent. Le sens de la vue ne transmet que des images ; celles-ci sont expliquées, commentées par une série de signes conventionnels.