Page:Du Camp - Paris, tome 5.djvu/168

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l’on n’ait pas traité avec l’Assistance publique pour avoir le droit d’envoyer les sourds-muets à l’établissement des bains de mer de Berck ? Ne sait-on pas qu’en fortifiant leur constitution, on raffermirait leur système nerveux affaibli, et que, par ce seul fait, on les rendrait moins violents, plus attentifs et plus intelligents ?

La maison est triste, et malgré ses deux cents habitants elle paraît solitaire ; on croirait volontiers que l’institution subit une crise, qu’elle n’est plus ce qu’elle était, qu’elle n’est pas encore ce qu’elle doit être. Elle paye en ce moment les erreurs passées, car il faut reconnaître que pendant longtemps on a fait fausse route. Au lieu de se contenter de donner aux sourds-muets de sérieuses notions élémentaires, on a voulu en faire des prodiges. Ils s’y sont prêtés dans une certaine mesure, entraînés par la vanité, qui est un de leurs caractères distinctifs. On n’a obtenu que des résultats négatifs, et l’on a peut-être contribué ainsi à décourager l’intérêt public. On s’est acharné à les faire parler, ou, pour mieux dire, à leur faire prononcer des mots dont ils lisaient la forme visible sur les lèvres du professeur. Ce n’était guère là qu’un tour de passe-passe fait pour étonner les gens naïfs. Pour comprendre la parole, il ne suffit pas de la voir, il faut l’entendre ; on est arrivé à former quelques perroquets humains qui ont pu répondre des phrases remarquables sur Dieu et sur les destinées de l’âme ; mais ils ne les répondaient pas, ils les récitaient, car on les leur avait fait apprendre par cœur. L’abbé de l’Epée écrivait à l’abbé Sicard : « Ne vous flattez pas, mon cher ami, de pouvoir amener le sourd-muet à écrire de lui-même et spontanément ; il n’écrira jamais que de souvenir. » Ceci est bien plus vrai encore pour la parole que pour l’écriture.

On eut la manie de l’articulation, on l’eut jusqu’à la