Page:Du Camp - Paris, tome 5.djvu/195

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

remplaçaient l’exercice par un balancement perpétuel promptement dégénéré en manie nerveuse. Il faut du temps et beaucoup de prudence pour les amener à se débarrasser de cette agitation musculaire à laquelle la volonté semble ne plus prendre part ; peu à peu ils étendent le champ de leurs promenades, le long des murs d’abord, puis à travers les arbres, et enfin ils se mêlent sans réserve aux jeux de leurs camarades.

En dehors des récréations réglementaires, après chaque heure de classe, on laisse aux aveugles deux ou trois minutes pendant lesquelles ils peuvent remuer et bruire à leur aise. Hygiéniquement et moralement, l’immobilité est mauvaise et le silence leur est funeste. Un aveugle aime le bruit comme un voyant aime la lumière ; pour lui c’est l’emblème de la vie ; lorsque le silence se fait subitement autour d’un enfant aveugle, le pauvre petit prend peur et se met à pleurer ; la punition la plus grave consiste à enfermer un élève récalcitrant dans une chambre absolument isolée de tout bruit ; c’est là un supplice réel qu’on n’applique que dans des circonstances exceptionnelles, et qu’on ne prolonge jamais au delà d’une heure. Il ne faut pas cependant que le bruit dégénère en tumulte, car alors la confusion se fait dans l’oreille de l’aveugle, qui ne sait plus rien distinguer au milieu des vibrations entremêlées, et qui perd la tramontane. Un aveugle parfaitement apte à se diriger par l’ouïe dans les rues de Paris, suivant une route dont il a l’habitude, s’égare immédiatement et parfois se retrouve au fond d’une cour ou d’une allée, si le hasard de son chemin le fait tomber au milieu d’un de ces brouhahas si fréquents dans une grande ville.

Leur ouïe, du reste, est d’une finesse exquise : ils en ont fait l’éducation avec un soin intéressé ; ce sens ne supplée qu’imparfaitement à celui qui leur manque, mais il leur rend du moins des services que les voyants ne