Page:Du Camp - Paris, tome 5.djvu/199

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car chaque nuance modifie le tissu d’une façon appréciable ; mais je n’ai point été témoin d’une telle expérience. Je sais seulement qu’il suffit à un aveugle de palper du doigt une montre ordinaire pour indiquer immédiatement l’heure et de poser la main sur le bras d’un de ses camarades pour le désigner par son nom. C’est là le toucher spécial qui est exercé avec un soin persistant à l’Institution ; on le régularise, on le dirige en vertu de théories qui sont le résultat d’une longue expérience, et l’on parvient à de véritables tours de force ; mais il y a aussi ce qu’on peut appeler le toucher général, qui, pour les objets placés à distance, correspond très-exactement à la vue : sous ce rapport, il existe parmi les aveugles des myopes et des presbytes comme parmi les voyants.

Souvent dans les couloirs de l’Institution, apercevant un élève qui venait vers moi, je me suis arrêté immobile, afin d’éviter de le prévenir de ma présence par le bruit de mes pas. L’enfant marchait droit de mon côté ; arrivé à cinq ou six pas, il ralentissait sa marche, levait la tête comme pour chercher une impression plus accentuée, faisait encore un pas ou deux avec précaution, puis tout à coup, prenant son parti, obliquait vers sa droite et passait rapidement près de moi, en ayant soin de me frôler légèrement pour tâcher de reconnaître qui je pouvais être. La résistance plus ou moins vive de l’air ambiant est l’indication de l’obstacle, mais cet obstacle est d’autant mieux perçu qu’il est plus élevé ; il est presque sans exemple qu’un aveugle se soit heurté contre un objet qui dépasse sa tête ou qui seulement est situé à la hauteur de ses mains, tandis qu’il butera contre un banc, contre une table, placés au niveau des genoux ou des hanches.

On peut faire cette expérience : un enfant vient d’être admis à l’Institution ; on le place sur le boulevard, le