Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/115

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rait-il cent ans, il ne durera pas. » Comme un homme qui meurt d’un mal dont il a trouvé le germe dans son berceau, l’Empire était destiné à périr, et à périr violemment par le fait même de sa naissance. Le 4 Septembre est la contrepartie du 2 Décembre. Les deux dates se font équilibre dans l’histoire ; jamais talion ne fut plus complet. Le pouvoir exécutif chasse la représentation nationale — la représentation nationale chasse le pouvoir exécutif ; celui qui seul avait prêté serment chasse ceux qui l’avaient reçu —ceux qui avaient prêté serment chassent celui à qui ils l’avaient prêté ; le 2 Décembre devait tôt ou tard amener un 4 Septembre ; les faits ont des déductions logiques qui ne se soucient pas des hommes et auxquelles nul ne peut se soustraire. Il y avait si longtemps que bien des gens ont pu dire : « C’est oublié ! » L’homme oublie, mais l’effet n’oublie jamais la cause. Certaines taches politiques sont comme la tache de sang sur la main de Lady Macbeth ; la mer ne suffirait pas à l’effacer.

Pour les gens avisés, à voir dans la presse, dans les réunions publiques et même à la tribune parlementaire, l’usage que l’on faisait de la liberté reconquise depuis le 2 janvier 1870, on pouvait comprendre que l’échéance était prochaine — une victoire l’eût ajournée, mais non pas fait rentrer au néant. Seulement je me demande sur quel dogme on va asseoir la souveraineté et, par ce mot, j’entends simplement le pouvoir exécutif. La France a décapité et chassé le droit divin en 1793 et en 1830 ; elle a brisé le droit parlementaire en février 1848 ; le 15 mai de la même année, elle a violé le suffrage universel dont, le 4 septembre elle a conspué et renvoyé l’élu. Que lui reste-t-il à inventer, pour le rejeter après ? Le 2 Décembre et le 4 Septembre représentent cet acte incompréhensible de la souveraineté du peuple qui se combat et se détruit elle-même : c’est un suicide.

Ce qui excuse la nation au 4 Septembre, c’est qu’elle était désespérée et qu’elle ne s’est pas doutée qu’en cette catastrophe elle avait sa part, et sa part considérable de responsabilité. Du reste, dès le début de la guerre, et comme si l’on en eût prévu le dénouement sinistre, chacun semblait avoir abdiqué sa responsabilité devant une responsabilité supérieure en laquelle on se confiait, mais que l’on ne désignait pas. La nation comptait sur l’armée, l’armée comptait