Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/156

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avec une telle lenteur » que les Allemands purent constater que les ouvrages étaient à peine ébauchés, lorsqu’ils s’en emparèrent.

Pourquoi tant de nonchalance dans cet acte vital ? Le rapport du colonel du génie Chaper, premier collaborateur du général Chabaud-Latour dans les travaux entrepris pour la défense de Paris après Wœrth, répondra à la question : « On avait commencé le 9 août la construction de quatre grands forts extérieurs à Gennevilliers, Montretout, Châtillon et Villejuif, et d’un très grand nombre d’ouvrages de campagne moins considérables à Meudon, Sèvres, Moulin-Saquet, Port-à-l’Anglais… L’achèvement de ces travaux eût rendu l’investissement à peu près impossible… Les chantiers, qui étaient en pleine activité le 3 septembre, furent en partie dépeuplés le 5 et les jours suivants… Pendant bien des jours, les manifestations à l’Hôtel de Ville, les processions devant la statue de Strasbourg et surtout les cabarets occupaient une grande partie de la population qui, auparavant, travaillait aux remparts et aux fortifications extérieures… En vain fait-on venir à grands frais des ouvriers de province… les nouveaux venus restent peu ; l’approche de l’ennemi pousse les uns à aller rejoindre leur famille, les autres s’engagent en foule, avec trois francs de solde, dans les francs-tireurs qui s’organisent de toutes parts, à moins qu’ils ne s’engagent dans la garde nationale, où le salaire est faible, mais où la tâche est facile ; ils sont vêtus, armés (le colonel Chaper aurait pu ajouter : nourris, abreuvés), et n’ont à peu près rien à faire[1]. »

Voilà pourquoi les Allemands marchèrent si facilement sur Versailles, qui, pendant de longs mois, devait être leur quartier général ; ils ne rencontrèrent devant eux aucun obstacle capable de les arrêter, ou même de les retarder. Le temps passé à célébrer la révolution du 4 Septembre fut perdu pour les ouvrages de défense, qui eussent rendu l’investissement moins étroit et les sorties moins malheureuses. Chaque clameur de joie, chaque verre de vin supprima un coup de pioche aux fortifications supplémentaires, et celles-ci restèrent inachevées, inutiles, parce que l’on cria beaucoup et que l’on but plus encore.

  1. Enquête sur les actes du Gouvernement de la Défense nationale. Rapport de M. Chaper. Tome I, p. 298-299.