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dit, se faire massacrer inutilement. Dès le 16 septembre, avant que l’on n’ait vu paraître les batteurs d’estrade de l’Allemagne, les mobiles de la Seine, ceux-là mêmes que le général Trochu avait ramenés de Châlons à Paris, « parce que c’était leur droit », trouvaient le poste qu’on leur avait assigné trop périlleux et l’abandonnaient. Le 19, un bataillon de ces mêmes mobiles destitue ses chefs, après avoir refusé de leur obéir, évacue le Mont Valérien, qu’il était chargé de garder, et revient à la débandade, au moment où les têtes de colonnes allemandes apparaissent à Rueil.

Le gouverneur de Paris, président du Gouvernement de la Défense nationale, l’homme à qui incombait la tâche de protéger la ville et de la sauver, le général Trochu, était-il à la hauteur de sa mission ? Sans hésiter et avec une conviction absolue, je répondrai : non. Les hésitations dont il fit preuve à la journée du 4 Septembre étaient sans doute partie intégrante de son caractère, car on les retrouve en lui à chaque heure de cette époque où il était le maître et où jamais il ne sut commander. Dès la guerre de l’Indépendance américaine, Jefferson disait du marquis de La Fayette : « Il a une faim canine de popularité. » Le mot peut s’appliquer à Trochu, qui, semblable au commandant en chef des journées d’octobre 1789 et de la garde nationale de 1830, se plaisait au « sourire enivrant de la multitude ». Lorsque l’on aime à ce point la popularité, on lui sacrifie tout, même son honneur. On avait oublié la parole de Mirabeau : « La guerre est la crise des sociétés où un gouvernement est le plus nécessaire. »

Malgré ses harangues et ses proclamations, malgré l’assurance qu’il affectait et ses appels à la protection de sainte Geneviève, Trochu ne croyait pas, n’a jamais cru à la possibilité de défendre Paris. Déposant devant la commission d’enquête parlementaire sur le 18 mars, Ernest Picard a dit : « Le général Trochu portait le deuil du siège de Paris, avant que celui-ci ne fût commencé. » Lui-même, au lendemain du 4 Septembre, disait : « C’est une folie héroïque, mais nous la ferons. » Le 17 septembre, à la veille du combat de Châtillon, qui forgeait le premier anneau de la chaîne dont Paris devait être entouré, Victor Duruy, l’ancien ministre de l’Instruction publique, un homme ardent, enthousiaste, plein de foi dans l’énergie de la France et croyant trouver en tous les cœurs le patriotisme qui brûlait dans le sien, se ren-