Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/169

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discuter. » Vains conseils, que Thiers eût volontiers suivis, mais que l’on n’eût osé écouter à Paris et que l’on n’eût même pas daigné entendre à Tours ; car, en dehors des petits gouvernements locaux qui s’étaient établis de-ci de-là, il existait en France deux gouvernements officiels, sinon réguliers ; condition défavorable à des opérations d’ensemble, mais que les circonstances avaient imposées.

Après la bataille de Sedan et la capitulation de l’armée française, nul doute ne pouvait subsister ; Paris, à bref délai, serait assiégé. Il fallait donc pourvoir à l’administration du territoire qui n’était pas en puissance de l’ennemi. Il fut décidé qu’une délégation du Gouvernement de la Défense nationale, munie de pleins pouvoirs, armée au besoin de la dictature, irait s’installer à Tours, ville ouverte, mais placée derrière la ligne stratégique de la Loire. Cette délégation ne devait pas être une sinécure, car c’est sur elle que pèserait le devoir de mettre la province en état de délivrer Paris et de repousser l’invasion.

En vérité, la tâche était lourde : lever les recrues, ramasser tous les hommes valides, les équiper, les instruire, les grouper en bataillons, en régiments, en corps d’armée ; fabriquer des canons et des munitions, réquisitionner les chevaux et les moyens de transport, passer des marchés pour les vivres, pour l’habillement, pour les charrois ; acheter des armes, en secret, chez toutes les puissances neutres qui consentiraient à fermer les yeux sur ce commerce illicite, choisir les généraux, préparer les plans de campagne, protéger l’ordre, sans compromettre la liberté ; faire la part égale au pouvoir civil et au pouvoir militaire, en évitant les conflits ; contracter des emprunts, remplacer ce que l’on voulait détruire, maintenir ce que l’on tenait à conserver, choisir toute occurrence d’aborder l’ennemi, sans compromettre des forces juvéniles et mal organisées, nouer des relations amicales avec les chancelleries d’Europe, n’avoir qu’un but, une préoccupation, une idée : le salut du pays, combiner les efforts avec ceux que Paris pouvait tenter, faire partout œuvre d’ensemble et remuer la terre de France jusqu’à ce que la victoire en jaillît ; tout cela et bien d’autres choses encore, c’était un fardeau écrasant ; à quel Hercule va-t-on confier ces travaux, à quel Atlas va-t-on donner ce monde à porter ?

Il eût fallu un homme jeune, ardent, sans pitié pour lui-même et sentant vibrer en lui l’âme nationale qui inspirait