Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/185

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

troupes allemandes célébraient la fête de Noël autour de Paris, par un décret qui prononçait la dissolution immédiate des conseils généraux et des conseils d’arrondissement. L’émotion fut vive en France et l’indignation très accentuée. Peu s’en fallut que l’on ne fît une révolution contre la révolution. Gambetta n’aimait point l’opposition, lorsqu’elle était dirigée contre lui, et le démontra. Le conseil général de Maine-et-Loire ayant voulu s’assembler, malgré le décret dictatorial, le préfet, Engelhard, demanda par dépêche des instructions à Gambetta, qui lui répondit : « Les membres de l’ancien conseil font mine de résister ; dispersez-les ; qu’avez-vous à attendre pour faire ces choses ? » Le français n’est pas irréprochable, mais la phrase est claire.

Le plus singulier de cette aventure, où nous trouvâmes un surcroît de souffrance, fut que Clément Laurier, qui était, à Londres, partisan de la convocation des conseils généraux, en fut un adversaire énergique dès qu’il connut les intentions de Gambetta ; il prouva ainsi qu’il regardait d’où soufflait le vent, pour mieux tendre sa voile. Gambetta, qui était retors et ne comprenait guère les idées simples, a prétendu que cette proposition cachait un piège qu’il avait éventé et auquel nul homme politique franchement républicain ne pouvait se laisser prendre. Selon lui, Bismarck savait que les conseillers généraux, élus sous l’Empire, gardaient de secrètes sympathies pour le régime tombé ; il conseillait donc de les réunir et de les consulter, parce que sa pensée secrète était de favoriser le retour et la restauration de Napoléon III, avec lequel sans doute il avait contracté quelque louche arrangement, après la bataille de Sedan. On en croira ce que l’on en voudra croire ; mais j’estime que Gambetta — s’il a été de bonne foi — se trompait. Bismarck était las de la guerre, qui se prolongeait au-delà de ses prévisions ; il eût voulu être à même de discuter, sous la réserve de l’approbation d’un pouvoir légal, des conditions qui eussent paru acceptables à la nation vaincue et à l’armée victorieuse, dont l’État-Major général, parlant par la bouche du comte de Moltke, formulait des exigences excessives, qu’il était le premier à repousser.

Les hommes qui ont connu Gambetta et qui ont pu apprécier jusqu’où allait la frénésie de son ambition ont affirmé qu’en cette circonstance il était l’avocat d’une mauvaise cause et qu’à aucun prix il ne voulait abandonner le pouvoir.