Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/190

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enfermés dans Paris allaient rompre les lignes d’investissement pour venir combattre les ennemis qui la foulaient, tandis que Paris, donnant, par sa résistance, à la province le temps de se lever, de se former, de devenir redoutable, était persuadé qu’elle était en marche pour le délivrer et disperser les troupes dont il était entouré. Paris et la province se trompaient ; comment ne se seraient-ils pas trompés et auraient-ils pu croire que leurs mouvements respectifs n’avaient point été combinés d’avance et menés avec un ensemble convenu entre le Gouvernement de la Défense nationale et la délégation de Tours !

Vers la fin d’octobre, à Paris, les cœurs étaient encore très surexcités ; on se disait : « Ce n’est plus qu’affaire de patience ; à la première sortie générale, nous en viendrons à bout. » Quelques gens sages, seuls, sachant s’abstraire de la passion publique, ne croyant guère à la victoire et redoutant les futures exigences du roi de Prusse, pensaient que, l’honneur étant sauf, il était patriotique de négocier, afin de conserver à la France des forces qu’il serait imprudent de gaspiller dans des combats dont l’inégalité s’accroissait de jour en jour. Parmi les membres du gouvernement, plus d’un raisonnait ainsi. Malgré leur incompétence militaire, il ne leur avait point été difficile de constater que les moyens de défense n’étaient point en proportion avec les moyens d’attaque, et plusieurs — qui me l’ont dit — regrettaient que l’on n’eût pas réussi à s’accommoder à Ferrières.

C’est dans le secret de leurs conciliabules qu’ils exprimaient ces idées d’apaisement et presque de soumission, car, lorsqu’ils passaient en revue quelques bataillons de ces gardes nationaux qui ne s’étaient point encore battus et ne devaient point se battre, loin de les préparer à une paix possible, ils embouchaient la trompette de Bellone et sonnaient leur fanfare la plus belliqueuse, car ils savaient qu’à ces gens de désordre tout prétexte servirait à faire montre de faux patriotisme et à tenter un soulèvement. Ils l’ont dit, ils l’ont répété ; ils avaient peur de « la rue » ; or la rue, c’était la garde nationale.

On attendait le retour de Thiers. L’ambassadeur extraordinaire du Gouvernement de la Défense nationale et de la Troisième République aura certainement convaincu les grandes puissances que leur intérêt est d’intervenir officieusement en notre faveur ; les conditions que nous aurons à