Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/218

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répétait à satiété. Gustave Flaubert lui-même m’écrivait, après le 4 Septembre : « La victoire est toujours du côté du droit et le droit est avec nous. » J’en étais arrivé à conclure que la logomachie remplace le raisonnement chez les vaincus. En guerre, il n’y a qu’un droit, celui du plus fort ; il est puéril de l’ignorer. En Étrurie, les barbares disaient : « Le droit, il est attaché au fer de nos lances, tout appartient au plus fort. » Qu’est-ce donc que le droit, si ce n’est la consécration prolongée de la force ? Il ne faut point se payer de mots et invoquer dans la défaite des principes que l’on dédaigne dans la victoire. Aux jours de Napoléon Ier, que pensait la France sur cette question ? « Le temps, l’occasion, l’usage, la prescription, la force font tous les droits. » De qui est cette parole, de quel Attila, de quel Tamerlan ? Elle est de Voltaire. On a reproché à Bismarck d’avoir dit : « La force prime le droit. » On prétend qu’il a nié ce propos ; s’il l’a nié, il a eu tort, car cet aphorisme est inscrit à chaque page des annales de l’humanité. La préface de tout pouvoir légitime est une usurpation ; le prélude de toute possession territoriale est un acte de violence. Émile Ollivier aurait dû le savoir et s’épargner un lieu commun d’avocat à court d’arguments[1].

Avant de se couronner et de se présenter à l’Europe comme un nouveau Charlemagne, « doux empereur à la barbe fleurie », le roi de Prusse eût voulu réduire Paris à capituler et n’y réussit pas. On était irrité à Versailles, on avait cru que tout serait fini vers le 20 décembre et que les fêtes de Noël, si précieuses aux Allemands, seraient célébrées en paix. On trouvait que Paris y mettait de la mauvaise grâce ; Bismarck était d’humeur maussade et ses procédés s’en ressentaient. Une conférence diplomatique s’était réunie à Londres pour reviser le traité de Paris, que la Russie dénonçait, car il paraît que nos défaites de 1870 annulaient nos victoires de 1855 et effaçaient toutes les conséquences de

  1. Les faits abondent qui constatent cette vérité ; j’en choisirai un peu connu, car la parole attribuée à Bismarck y a été presque textuellement prononcée. Lorsque, sur l’ordre de Bonaparte, Bernadotte arrêta la légation russe qui sortait de Venise (1797), le chef de la légation, Mordwinow, parla du droit des gens. Bernadotte répondit : « Il n’est pas question de droit ; je suis le plus fort ! » Il s’agissait de s’emparer de d’Entraigues, agent royaliste attaché à la légation russe. (Forneron, Histoire générale des émigrés pendant la Révolution française, Paris, 1884-1890, 3 vol. in-8o, tome II, p. 284.)