Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/243

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lequel il fallait compter. Bismarck ne se souciait que médiocrement des objurgations de Gambetta ; il s’était contenté d’en témoigner quelque mauvaise humeur, en rabrouant Jules Favre et en retardant le ravitaillement de Paris ; il savait, du reste, que le pays ne suivrait pas le dictateur dans ses velléités de lutte à outrance et qu’il se rallierait, en presque totalité, au Gouvernement de la Défense nationale, qui voulait la paix, parce qu’il ne pouvait plus faire la guerre.

Gambetta ne s’en tint pas à ses velléités belliqueuses ; il voulut intervenir dans les élections législatives et imposer des exclusions. Mal lui en prit. Il avait fait correctement publier le décret du Gouvernement de la Défense nationale, qui convoquait les électeurs de France, même ceux de l’Alsace et de la Lorraine, pour le mercredi 8 février ; mais immédiatement il promulgua (3 février) un décret de la délégation par lequel il déclarait que tout individu qui, depuis le 2 décembre 1851 jusqu’au 4 septembre 1870, avait accepté des fonctions de ministre, sénateur, conseiller d’État, préfet, qui avait été candidat officiel dans la même période, était exclu d’éligibilité à l’Assemblée nationale. Le décret concluait : « Sont nuls et de nullité absolue les bulletins de vote portant les noms des individus compris dans les catégories ci-dessus désignées. Ces bulletins ne seront pas comptés dans la supputation des voix. » À la signature de Gambetta, on avait joint celles de Crémieux et de Glais-Bizoin, car les deux vieux comparses, plus inutiles que jamais, avaient accompagné le jeune dictateur à Bordeaux et lui faisaient cortège.

Ceci était en contradiction avec les termes de l’armistice. C’était la France dont Bismarck voulait recevoir une décision solennelle, qui déterminerait la conclusion de la paix ou la continuation de la guerre ; il ne pouvait admettre qu’un parti, quel qu’il fût, restât en dehors de la consultation du pays tout entier. Si une seule opinion, une seule faction politique était frappée d’incapacité électorale et représentative, le vote à intervenir, et dont l’existence d’une grande nation, dont le respect d’un futur traité pouvaient dépendre, était faussé dans son principe et devenait caduc, avant d’avoir été émis. Nul homme d’État ne pouvait accepter des conditions qui étaient la négation du droit national, la négation du droit des gens, et qui ne pouvaient émaner que