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Est-ce cette lettre qui décida Napoléon III à tenter de nouveau la fortune ; ne fit-elle que donner un corps aux rêveries qui certainement devaient l’occuper ? On ne sait, et Franceschini Piétri n’a pu ou n’a voulu me le dire ; mais on peut considérer comme certain que la détermination de rentrer en France par une surprise, suivie au besoin d’un coup de force, était arrêtée, dès les premiers mois de 1872. On comptait à la fois sur un complot qui entamerait l’action et sur un mouvement militaire qui l’achèverait.

Le confident et le plénipotentiaire de Napoléon en cette aventure fut le général Fleury[1] ; du moins, tout le fait supposer : car, à cet égard, je ne puis rien affirmer avec certitude. L’homme était bien choisi. Par les services qu’il avait rendus, lors du coup d’État du 2 décembre 1851, on pouvait augurer de ceux que l’on pouvait en attendre encore. Pendant la durée du règne, il avait été initié à plus d’un mystère politique et à bien des amourettes qui se dénouaient parfois dans son appartement même. La partie était grosse pour lui, il y allait de sa tête ; l’enjeu ne le fit pas reculer. Il se mit en campagne, moitié paladin, moitié aventurier, et muni de pleins pouvoirs qui permettaient des largesses.

C’est au prince Napoléon, à J.-M. Piétri, le dernier préfet de Police de l’Empire, à Franceschini Piétri, secrétaire de l’Empereur, au comte Chouvaloff[2] que je dois les détails que je vais placer sous les yeux du lecteur. Ces détails, je ne les ai eus que grosso modo, comme on en peut recueillir au cours d’une conversation ; ils seront sans doute exposés complètement si, comme on l’a dit, le général Fleury a laissé des Mémoires. Ce que je sais et ce que je vais dire suffit cependant pour reconstituer le plan de l’expédition, tel qu’il devait être exécuté, si rien n’y apportait obstacle.

Trois commandants en chef, selon le prince Napoléon, neuf, selon J.-M. Piétri, étaient acquis au complot. Des

    l’engageait à rentrer en France et à s’emparer d’un pouvoir que le Directoire avait avili. Le messager secret remplit bien sa mission et périt plus tard en Grèce, pendant la guerre d’indépendance : je crois même qu’il fut tué, avec Odissès, au pas des Thermopyles, comme Léonidas.

  1. Fleury (Émile-Félix, comte), 1815-1884. Aide de camp de Napoléon III (1856-1870). Ses mémoires ont été publiés sous le titre : Souvenirs du général Fleury, Paris, Plon, 1897-1898, 2 vol. in-8o. (N. d. É.)
  2. Chouvaloff (1828-1889). Général et diplomate russe, ambassadeur à Londres de 1873 à 1879. (N. d. É.)