Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/324

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l’avenir et s’y préparait. Je crois qu’il avait des sentiments belliqueux ; à son âge, et sous le nom qu’il portait, cela était naturel, mais il voyait dans la guerre autre chose qu’un instrument de conquête et qu’une satisfaction d’amour-propre ; pour lui, elle semblait être non seulement un moyen de gouvernement, mais une sorte d’exercice propre à entretenir la force morale de l’homme ; il me dit textuellement : « La guerre empêche les nations de devenir médiocres. » Il me parla avec admiration des campagnes de Crimée et d’Italie. Ce que j’aurais pu répondre, je le sais bien : ne considérer dans une guerre que le résultat immédiat et non les résultats lointains, c’est faire acte de soldat et non pas acte d’homme politique ; la conséquence jusqu’à présent la plus claire de nos victoires à Sébastopol, au Tessin et au Mincio a été l’agrandissement de la Prusse, suivi de la constitution de l’Empire d’Allemagne. Je fus sur le point de le dire, mais je me souvins que je parlais au fils du prisonnier de Wilhelmshœhe et je gardai le silence.

Son indulgence était-elle sincère ? Elle m’a paru bien générale pour n’être pas un peu voulue ; l’indulgence est le plus souvent faite de la série d’expériences que comporte la vie, et ce n’est pas à vingt-deux ans que l’on peut encore l’avoir acquise ; c’est pourquoi la jeunesse est intolérante ; elle n’admet ni les compromis, ni l’indécision ; elle est absolue, tout d’une pièce dans ses jugements, parce qu’elle ne sait rien des choses de ce bas monde, de ce très bas monde, où tout est relatif. Il parlait des hommes avec une sorte de détachement philosophique dont j’ai été surpris. Il avait l’air de dire : « Que voulez-vous y faire ; ils sont ainsi et non pas autrement ; il faut les utiliser tels qu’ils sont et ne point s’épuiser à les vouloir réformer ; et puis savons-nous si nous sommes meilleurs qu’eux ? » Ensemble, nous avons causé de bien des gens dont l’Empire n’avait pas eu à se louer, de Jules Favre, du général Trochu, du maréchal Bazaine, d’Émile Ollivier et de bien d’autres ; pas une parole d’amertume n’est tombée de ses lèvres, pas un accent de colère, rien qui indiquait l’irritation et la rancune. À propos de Trochu, il se mit à rire et me dit : « Je me le rappelle très bien ; lorsque j’étais enfant, il était un des plus empressés à me baiser la main. »

Je l’ai trouvé sévère et vraiment dur pour un seul homme, pour le prince Napoléon ; celui-là, il le haïssait, on n’en pou-