Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/334

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ne sera pas prétendant. Au vrai, il nous reste la grâce de Dieu, ce qui est fort peu de chose. Quelle place tenait dans le monde ce pauvre prince ! »

Roger de Cormenin, qui alors avait vingt-quatre ans, ne s’occupait guère de politique et n’avait point d’opinion assise, m’écrivait de son côté : « Au milieu de mes tracas personnels, est arrivée la sinistre nouvelle de la mort du Prince impérial. Nous en avons été bouleversés. Je ne vois plus qu’amis en larmes. Je doute que jamais aucun prince ait été autant et si justement pleuré des jeunes gens de son pays. On sent mieux ce que l’on a perdu, depuis que s’est faite l’irréparable perte. Tout le monde ici est dans le désarroi, à l’exception de quelques républicains, qui se font un devoir et un plaisir de baver sur ce cercueil où est enfermé l’homme qu’ils redoutaient le plus. »

Ces deux lettres donnent exactement l’état de l’opinion ; on fut désolé, on fut troublé ; il semblait que l’on voyait disparaître la dernière planche de salut à laquelle on comptait s’accrocher en cas de naufrage. Roger de Cormenin avait raison : sous prétexte de célébrer la mort d’un prétendant, quelques pauvres sires du radicalisme ne purent s’en tenir de joie, dansèrent autour de ce cadavre et l’insultèrent. J’ai sous les yeux, et l’on retrouvera dans les papiers annexés au manuscrit original de mes Souvenirs, une ordure qui semblera extraordinaire, même à ceux que n’étonne plus aucune infamie politique. Cela s’est crié et vendu dans Paris : dix centimes. C’est le supplément du n° 3 de L’Avant-garde démocratique ; rédacteur en chef : Léo Taxil. Je n’en transcrirai que le titre ; cela suffira ; le texte est de ceux qu’on ne lit pas : Il a claqué, le pauvre chéri ! Détails inédits sur la mort lamentable du jeune oreillard.

Trois ans plus tard, le 20 avril 1882, le Weekly Chronicle de San Francisco publia un récit à sensation par lequel la mort du Prince impérial était attribuée à des contumax de la Commune, qui l’auraient suivi d’Angleterre au Zoulouland et l’auraient assassiné. Cette assertion fut ramassée par un ancien Communard, nommé Lissagaray, reproduite et commentée par lui dans le journal La Bataille, dont il était rédacteur en chef, sous le titre Comment nous le tuâmes. Avec un courage que l’on va pouvoir apprécier, ce Lissagaray terminait son article en disant : « Aujourd’hui que l’amnistie a rendu la France à tous les proscrits, aujourd’hui