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débloquer Paris. » Cette calembredaine fit-elle hausser les épaules à tout le monde ? Je n’en répondrais pas.

Ce jour même, ce jeudi 1er septembre, j’allai de bonne heure à l’État-Major de la place pour voir le général de Malroy. Ses plantons me connaissaient ; j’entrai sans frapper. Au lieu de trouver le général assis à sa table, au milieu de ses paperasses, dans la chambrette carrelée qui lui servait de cabinet, je le vis debout, appuyé de l’épaule contre la muraille, les yeux fichés en terre et comme pétrifié dans sa méditation. Il leva la tête, me fit bonjour du regard et me dit : « Tu sais la nouvelle ? — Non. — Failly s’est laissé rattraper, surprendre et battre à Beaumont ; sa retraite est une déroute ; Mac-Mahon ne peut plus secourir Bazaine. » Je restai assommé du coup. « Et que va-t-on faire ? » De Malroy haussa les épaules : « Eh ! que sais-je ce qu’ils vont inventer encore ? L’affaire de Beaumont prouve que toute l’armée allemande est à leurs trousses ; ils vont chercher un point d’appui ; ils n’en ont d’autre que Sedan. Or Sedan est un cul de basse-fosse ; si on s’y laisse enfourner, on y sera étouffé. — Mais la place est très forte. — Elle était forte, oui, avec la vieille artillerie de courte portée ; mais, avec l’artillerie moderne, la place sera mortelle. » Avisant une cuvette placée sur le marbre du poêle, il me dit : « Tiens, voilà Sedan ; si nous sommes au fond et si les Allemands sont sur les bords, il n’y aura plus qu’à dire son in manus et à mourir. »

Il était sans colère, comme un vieux soldat qui a traversé le fer et le feu. À ma question : « A-t-on d’autres détails ? » il répondit : « Non, c’est tout ce que l’on sait, et en vérité cela suffit. On dit que l’Empereur a pu se jeter en Belgique avec l’armée, mais ce n’est qu’un on-dit et nulle dépêche ne l’a confirmé. — Que dit Trochu ? — Le gouverneur de Paris pérore ; il explique ce que l’on aurait dû faire, mais n’explique pas ce qu’il fera. Il répète : « Je vous l’avais bien dit. » Il lève les bras au ciel et s’écrie : « Si l’on m’avait écouté ! »

De Malroy continuait, pensant tout haut : « Vinoy est parti avec 45 000 hommes ; heureusement il n’arrivera pas à temps ; il ramènera ses troupes sous Paris. 45 000 hommes ramassés un peu partout, sans esprit de corps, sans grande cohésion, pour faire face à l’Allemagne qui va nous canonner et pour maintenir la tranquillité dans nos rues, où 400 000 gardes nationaux sont tout disposés à chanter La Carmagnole,