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cuisiniers ; moi, je n’ai qu’un cuisinier, mais j’ai dix-huit espions. » L’espionnage est en guerre d’usage traditionnel. À Paris, le 27 août, on avait fait un exemple terrible. Un certain capitaine Hart, déguisé en peintre paysagiste, avait été surpris et arrêté, pendant qu’il levait le tracé des routes qui aboutissent à Gien. Conduit à Paris, traduit devant un conseil de guerre ou une cour martiale, il fut condamné à mort. Jusqu’au bout, il fut arrogant : « L’Allemagne me vengera, ici même, dans votre Paris dont vous êtes si fiers. » On le fusilla au point du jour dans un des préaux de l’École militaire, et son corps fut porté sur un fourgon au cimetière Montparnasse, où il fut inhumé au no 4 de la troisième ligne de la vingt-deuxième division.

Aussitôt après nos dernières défaites, on vit des espions partout, et, en réalité, l’État-Major allemand en a utilisé un nombre considérable. À quoi bon ? Nos journaux n’ont rien caché ni de ce qu’ils pouvaient dire, ni de ce qu’ils auraient dû taire. Les journaux étrangers ont rivalisé avec les nôtres ; il semble qu’il y ait eu émulation pour dévoiler à l’Allemagne les mouvements militaires de la France ; les correspondants des journaux de Belgique, sous prétexte de fournir de bonnes informations à leurs lecteurs, étaient souvent en visite dans nos villes frontières et ne ménageaient point les renseignements dont l’ennemi profitait. On peut lire dans la Perseveranza du 25 septembre 1870 une dépêche ainsi conçue : « Berlin, 22 septembre. La Gazette de l’Allemagne du Nord reporte le mérite de la victoire de Sedan au correspondant de L’Indépendance Belge, qui, de Mézières, signalait tous les mouvements de Mac-Mahon. »

Ce ne fut point, hélas ! L’Indépendance Belge qui apprit au Prince royal la direction que le maréchal Mac-Mahon avait prise en quittant Reims ; ce fut un journal français, un journal parisien, Le Temps, dont les correspondances militaires avaient été remarquées. Le journal avait, je crois, ses entrées au ministère de la Guerre ; il y surprit le secret qu’il était nécessaire de dissimuler le plus longtemps possible ; et il le divulgua sans scrupule. Dès que le Prince royal fut instruit de ce qu’il avait tant d’intérêt à savoir, il brisa sa marche par une évolution à angle aigu et, se hâtant vers les Ardennes, parallèlement à Mac-Mahon, il y arriva avant lui et se posta à Beaumont, ayant encore le temps de donner à ses soldats