Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/71

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entretiens secrets avec des officiers de la garde nationale ? Reçut-il une députation envoyée par les bataillons de mobiles du camp de Saint-Maur ? Se trouva-t-il blessé par des mesures que le comte de Palikao avait prescrites sans le consulter ? Crut-il que c’était chez lui et sous sa présidence que désormais le Conseil des ministres devait se réunir ? Je ne sais. J’ai consulté à cet égard Piétri, préfet de Police, Chevreau, ministre de l’Intérieur, Brame, ministre de l’Instruction publique, Maurice Richard, député, l’amiral Jurien de La Gravière, aide de camp de l’Empereur, faisant service près de l’Impératrice, personne n’a pu me donner un motif qui pût justifier, qui pût excuser son manque de parole et son absence des Tuileries en telles circonstances. Paul Courier, capitaine d’état-major, fils de Paul-Louis Courier, qui avait servi auprès de Trochu et le connaissait bien, m’a dit : « C’est beaucoup plus simple que l’on n’imagine ; il n’a pas été chez l’Impératrice parce qu’il a été blessé qu’elle n’eût point reçu son aide de camp. » C’est possible, mais alors c’est le fait d’un bien pauvre esprit. Quoi qu’il en soit, s’il était loyal, il est incompréhensible ; s’il jouait double jeu, tout s’explique.

L’Impératrice s’était hâtée de convoquer le Conseil des ministres, qui se réunit à six heures du soir ; Piétri y avait été appelé. Cette femme futile, dont la frivolité avait porté un coup redoutable aux mœurs extérieures de son temps, pour qui elle fut un mauvais exemple, sembla tout à coup transfigurée par la fortune adverse. Nul, parmi ceux qui l’ont approchée en ces dernières heures, n’a varié dans son témoignage ; elle fut très ferme, un peu théâtrale, selon sa nature, mais irréprochable et d’une dignité souveraine. À aucun prix elle ne voulut consentir à laisser tenter en sa faveur un effort qui eût pu produire l’effusion du sang ; à toute proposition, elle ne cessa de répéter : « C’est assez de la guerre étrangère, de la défaite, de l’invasion ; je ne veux point de guerre civile. Si ma présence à Paris est un danger, je suis prête à partir, je suis prête à m’exiler. » Comme l’on parlait de la colère que tant de désastres soulevaient contre le régime impérial, elle s’écria : « Que ne le disiez-vous ! Je vais abdiquer. » Les légistes du Conseil lui firent remarquer qu’elle n’en avait pas le droit ; le pouvoir qu’elle exerçait était le fait d’une délégation ; or celui qui avait qualité pour faire cesser cette délégation était