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« Vu la vacance du pouvoir », ce qui impliquait la déchéance de l’Empire. Concessions de dernière heure, concessions nulles. Il était dit que, jusqu’à la minute suprême, jusque sous le suaire, on ergoterait sur des paroles.

Jules Favre fut chargé d’aller remercier de cette communication puérile ce qui subsistait du Corps législatif et, en même temps, de lui signifier la volonté du Gouvernement de la Défense nationale. Échange de politesses dont il est difficile de ne point sourire à distance, car ce ne fut qu’une formalité vaine jusqu’au burlesque. Après avoir fait son compliment avec une déférence dont nul ne fut la dupe, Jules Favre expliqua que « le gouvernement s’était vu dans la nécessité de se constituer, contraint par un mouvement supérieur qui, je l’avoue, a répondu au sentiment intime de notre âme ». Il engage les députés à ratifier ce qui a été fait, ce qui est le vœu du peuple. C’est le parti le plus sage, celui qu’il convient d’adopter ; « si les députés s’y refusaient, le gouvernement de la République passerait outre et saurait accomplir sa mission ». C’était fort clair et on comprit : Sic volo, sic jubeo.

Quelques hommes intègres et fiers, Daru, Buffet, Pinard, humiliés d’être mis dehors avec ce sans-façon, voulurent protester et déclarèrent qu’ils cédaient non pas à la force, mais à un sentiment de patriotisme qui leur interdisait toute résistance, en présence de l’invasion du territoire et d’une guerre civile possible. Thiers intervint : « Il ne convient pas, il est dangereux d’ébranler par une protestation vaine la seule autorité qui soit debout pour lutter contre les adversaires de la patrie et de la société. » Au comte Daru qui s’écriait : « C’est une infamie d’avoir apposé les scellés sur les portes du Corps législatif ! », Thiers fit une réponse qu’il eût mieux fait de retenir : « Qu’est-ce que des scellés appliqués à des portes, lorsqu’on les compare aux scellés mis sur les personnes ! N’ai-je point été incarcéré, messieurs, n’ai-je point été à Mazas, moi ! Les récriminations sont inutiles. L’ennemi sera bientôt sous Paris ; notre devoir est de nous retirer avec dignité. » On l’écouta ; je ne sais si c’est avec dignité que l’on se retira, mais on se retira. Jules Favre retourna à l’Hôtel de Ville, en riant dans sa barbe blanche, et Thiers alla se coucher.

C’en était fait, l’Empire était mis hors la loi, dans la personne de l’Empereur prisonnier de guerre, dans la per-