Page:Du Deffand - Correspondance complète de Mme Du Deffand avec ses amis, tome 1.djvu/270

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

J’allai hier à Auteuil. À dire vrai, je commence à m’ennuyer déjà beaucoup, et vous m’êtes un mal nécessaire ; il y aurait bien de la métaphysique à faire sur cela, mais vous ne l’aimez pas mieux que la politique. Ce qu’il y a de vrai, c’est que l’idée de la liberté m’est beaucoup plus chère que la liberté même, et que dans le temps où je suis avec vous avec le plus de plaisir, la pensée que je ne serais pas le maître de n’y être pas, si j’avais autre chose que je crusse devoir taire et qui me fût moins agréable, cette pensée trouble mon bien-être ; cela revient à ces deux vers admirables de Cornélie, que vous trouvez si mauvais :

Et ne pouvant souffrir la honte d’un lien,
Il voudrait être au moins libre de n’aimer rien.

Bonjour, tâchez de me donner des nouvelles agréables de votre santé, c’est ce qui peut me faire le plus de plaisir.




LETTRE 12.


MADAME LA MARQUISE DU DEFFAND À M. LE PRÉSIDENT HÉNAULT.


Vendredi, 6 juillet.

Je suis ravie que Mertrud soit retrouvé, et de ses brillants succès. J’eus hier la même pensée que vous : il me semblait qu’il avait quelque chose d’assassinat dans la physionomie. Je vous ai écrit hier une grande lettre, ainsi vous n’aurez qu’un mot aujourd’hui. Tous vos sentiments pour moi sont d’autant plus beaux, qu’il n’y en a pas un qui ne soit naturel. Je crois ce que vous me dites, que le plaisir d’être avec moi est toujours empoisonné par le regret ou la contrainte où vous vous figurez être de ne pouvoir pas être ailleurs. Il serait bien difficile de pouvoir contenter quelqu’un de qui le bonheur ne peut être que surnaturel. Tout ce que je vous conseille, c’est de profiter pleinement de mon absence, d’être bien aise avec vos amies, et de garder vos regrets pour les changer en plaisirs simples et vrais, quand vous me reverrez. Pour moi, je suis fâchée de ne vous point voir ; mais je supporte ce malheur avec une sorte de courage, parce que je crois que vous ne le partagez pas beaucoup, et que tout vous est assez égal ; et puis je songe que je ne vous tyranniserai pas au moins pendant deux mois.

Je n’ai encore eu ni vent ni voie de Formont. Il m’est cependant bien nécessaire car la compagnie d’ici est pire que s’il n’y