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ÎLE DE TSONG MING.


Cette île qui est de la province de Kiang nan n’en est séparée à l’ouest que par un bras de mer, lequel n’a pas plus de cinq ou six lieues. On prétend qu’elle s’est formée peu à peu de terres que le Yang tse kiang, grand fleuve qui passe à Nan king, a entraîné de diverses provinces qu’il arrose : c’est pourquoi, outre le nom de Tsong ming qu’on lui donne, on l’appelle communément Kiang che, ce qui signifie, langue du fleuve ; soit qu’en effet étant beaucoup plus longue que large, elle a assez la figure d’une langue, soit parce qu’elle est placée directement à l’embouchure de ce grand fleuve.

Anciennement c’était un pays désert et sablonneux, tout couvert de roseaux ; on y reléguait les bandits et les scélérats dont on voulait purger l’empire. Les premiers qu’on y débarqua, se trouvèrent dans la nécessité, ou de périr par la faim, ou de tirer leurs aliments du sein de la terre. L’envie de vivre les rendit actifs et industrieux : ils défrichèrent cette terre inculte : ils en arrachèrent les plantes inutiles : ils semèrent le peu de grains qu’ils avaient apportés, et ils ne furent pas longtemps sans recueillir le fruit de leurs travaux. Quelques familles chinoises, qui avaient de la peine à subsister dans le continent, eurent la pensée d’aller habiter une terre, dont la culture pouvait les tirer de leur extrême indigence : elles se transplantèrent dans l’île, et partagèrent entr’elles le terrain.

Ces nouveaux venus, ne pouvant défricher toute l’étendue du terroir qu’ils s’étaient donné, appelèrent à leur secours d’autres familles du continent : ils leur cédèrent à perpétuité une partie des terres, à condition qu’elles paieraient tous les ans, en diverses denrées, une rente proportionnée à leur récolte. Le droit qu’exigent les premiers propriétaires, s’appelle quo teou, et subsiste encore maintenant.

L’île de Tsong ming a environ vingt lieues de longueur, et cinq à six lieues de largeur. Il n’y a qu’une ville du troisième ordre, qui a une enceinte de murailles fort hautes, appuyées de bonnes terrasses, et entourées de fossés pleins d’eau. La campagne est coupée d’un nombre infini de canaux bordés de chaussées fort élevées, pour mettre la campagne à couvert des inondations ; car le terrain y est uni, et on n’y voit pas de montagnes. L’air y est sain et tempéré, le pays agréable.

D’espace en espace on voit de gros bourgs, où il y a quantité de boutiques de marchands, bien fournies de tout ce qu’on peut désirer, pour les nécessités, et même pour les délices de la vie. Entre chaque bourg, il y a autant de maisons répandues çà et là dans la campagne, qu’il y a de familles occupées au labour. Il est vrai que ces maisons n’ont rien de magnifique : à la réserve de celles des gens riches qui sont bâties de brique et couvertes de tuiles, toutes celles des gens du commun n’ont qu’un toit de chaume, et sont construites de simples roseaux entrelacés les uns dans les autres. Les arbres plantés de côté et d’autre, le long des fossés pleins d’eau vive qui environnent les maisons, leur donnent un agrément, qu’elles n’ont pas d’elles-mêmes.