Page:Du halde description de la chine volume 1.djvu/280

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ne voulant point faire ombrage à une nation, qui avait lieu d’appréhender la domination chinoise. Quoiqu’il en soit, de tout l’or qu’ils étaient allés chercher, ils ne découvrirent que quelques lingots exposés dans les cabanes, dont ces pauvres gens faisaient peu de cas. Dangereuse tentation pour un Chinois.

Peu contents du mauvais succès de leur voyage, et impatients d’avoir ces lingots exposés à leurs yeux, ils s’avisèrent du stratagème le plus barbare ; ils équipèrent leur vaisseau, et ces bonnes gens leur fournirent tout ce qui était nécessaire pour leur retour. Ensuite ils invitèrent leurs hôtes à un grand repas, qu’ils avaient préparé, disaient-ils, pour témoigner leur reconnaissance. Ils firent tant boire ces pauvres gens, qu’ils les enivrèrent : comme ils étaient plongés dans le sommeil causé par l’ivresse, les Chinois les égorgèrent tous, se saisirent des lingots, et mirent à la voile.

Cette action cruelle ne demeura pas impunie ; mais les innocents portèrent la peine que méritaient les coupables. Le bruit n’en fut pas plus tôt répandu dans la partie orientale de l’île, que ces insulaires entrèrent à main armée dans la partie septentrionale, qui appartient à la Chine, massacrèrent impitoyablement tout ce qu’ils rencontrèrent, hommes, femmes, enfants, et mirent le feu à quelques habitations chinoises. Depuis ce temps-là, les deux parties de l’île sont continuellement en guerre.

La partie de l’île de Formose, que possèdent les Chinois, mérite certainement le nom qu’on lui a donné : c’est un fort beau pays, l’air y est pur et toujours serein : il est fertile en toutes sortes de grains, arrosé de quantité de petites rivières, lesquelles descendent des montagnes qui la séparent de la partie orientale ; la terre y porte abondamment du blé, du riz, etc. On y trouve la plupart des fruits des Indes, des oranges, des bananes, des ananas, des goyaves, des papayes, des cocos, etc. Il y a lieu de croire que la terre porterait aussi nos arbres fruitiers d’Europe, si on les y plantait. On y voit des pêches, des abricots, des figues, des raisins, des châtaignes, des grenades. Ils cultivent une sorte de melons, qu’ils appellent melons d’eau : ces melons sont beaucoup plus gros que ceux d’Europe, d’une figure oblongue, quelquefois ronde ; la chair en est blanche ou rouge, ils sont pleins d’une eau fraîche et sucrée qui est fort au goût des Chinois. Le tabac et le sucre y viennent parfaitement bien. Tous ces arbres sont si agréablement arrangés, que lorsque le riz est transplanté à l’ordinaire au cordeau et en échiquier, toute cette grande plaine de la partie méridionale, ressemble moins à une simple campagne, qu’à un vaste jardin, que des mains industrieuses ont pris soin de cultiver.

Comme le pays n’a été habité jusqu’à ces derniers temps, que par un peuple barbare et nullement policé, les chevaux, les moutons, et les chèvres y sont fort rares : le cochon même, si commun à la Chine, y est encore assez cher ; mais les poules, les canards, les oies domestiques y sont en grand nombre. On y voit aussi quantité de bœufs, qui servent de monture ordinaire, faute de chevaux, de mulets, et d’ânes : on les dresse de bonne heure, et ils ont le pas aussi bien et aussi vite que les meilleurs chevaux ; ils ont bride, selle, et croupière, qui sont souvent de très grand prix.