Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/198

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épaules : d’autres l’appuient sur une table, ou sur un banc : d’autres font faire une chaise où ils sont assis entre quatre colonnes d’une égale hauteur qui supportent la cangue. Il y en a qui se couchent sur le ventre, et qui se servent du trou où leur tête est passée, comme d’une fenêtre, par laquelle ils regardent effrontément tout ce qui se fait dans la rue.

Lorsqu’en présence du mandarin on a réuni les deux pièces de bois au col du coupable, on colle dessus à droite et à gauche deux longues bandes de papier larges de quatre doigts, auxquelles on applique une espèce de sceau, afin que les deux pièces qui forment la cangue, ne puissent pas se séparer sans qu’on s’en aperçoive. Puis on y écrit en gros caractères le crime pour lequel le coupable est puni, et le temps que doit durer le châtiment : par exemple, c’est un voleur, c’est un brouillon et un séditieux, c’est un perturbateur du repos des familles, c’est un joueur, etc. il portera la cangue durant trois mois en tel endroit.

Le lieu où on les expose, est d’ordinaire, ou la porte d’un temple célèbre par le concours des peuples, ou un carrefour fort fréquenté, ou la porte de la ville, ou une place publique, ou même la première porte du tribunal du mandarin.

Quand le temps de la punition est écoulé, les officiers du tribunal représentent le coupable au mandarin, qui après l’avoir exhorté à se corriger, le délivre de la cangue, et pour le congédier, lui fait donner une vingtaine de coups de bâtons ; car c’est l’usage assez ordinaire de la justice chinoise, de ne point imposer de peine, à la réserve des amendes pécuniaires, qui ne soit précédée et suivie de la bastonnade ; de sorte qu’on peut dire que le gouvernement chinois ne subsiste guère que par l’exercice du bâton.


Bonzesse punie de la cangue.

Ce châtiment est plus commun pour les hommes que pour les femmes ; cependant un ancien missionnaire[1] qui visitait un mandarin d’une ville du premier ordre, trouva près de son tribunal une femme portant la cangue : c’était une bonzesse, c’est-à-dire, une de ces filles qui vivent en communauté dans une espèce de monastère, dont l’entrée est interdite à tout le monde ; qui s’y occupent du culte des idoles et du travail ; qui ne gardent point de clôture, mais qui néanmoins sont obligées de vivre dans la continence, tandis qu’elles demeurent dans le monastère.

Cette bonzesse ayant été accusée d’avoir eu un enfant d’un commerce illégitime, le mandarin sur la plainte qu’on lui porta, la fit comparaître à son tribunal, et après lui avoir fait une sévère réprimande, il lui dit que puisqu’elle avait de la peine à garder la continence, il fallait qu’elle quittât le monastère, et qu’elle se mariât ; cependant pour la châtier, il la condamna à porter la cangue : on y écrivit sa faute, et on ajouta que si quelqu’un voulait se marier avec elle, le mandarin la livrerait, et donnerait une once et demie d’argent pour les frais du mariage. Cette somme vaut à peu près sept livres dix sols de notre monnaie : cinquante sols devaient être employés à louer une chaise, et à payer les joueurs d’instruments : les cinq livres de surplus étaient destinées aux frais du festin qu’on ferait avec

  1. Le P. Contancin.