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Pour ce qui est de l’argent il n’est pas monnayé comme en Europe : on le coupe en divers morceaux, grands ou petits, selon le besoin, et c’est au poids, et non pas à la marque du prince, qu’on en connaît la valeur. Ils ont pour le peser de petites balances portatives, renfermées dans un étui de vernis fort propre. Cette sorte de balance est assez semblable à la balance romaine : elle est composée d’un petit plat, d’un bras d’ivoire ou d’ébène, et d’un poids courant. Ce bras qui est divisé en de très petites parties sur trois faces différentes, est suspendu par des fils de soie à l’un des bouts en trois différents points, afin de peser plus aisément toutes sortes de poids, Ces balances sont d’une grande précision. Ils pèsent depuis 15 et 20 taels jusqu’à un sol et au-delà, et avec tant de justesse, que la millième partie d’un écu fait pencher la balance d’une manière sensible. Leur argent n’est pas tout du même titre : ils divisent le titre en cent parties, comme nous fixons à vingt-quatre carats le plus grand raffinement de l’or. Cependant il s’en trouve du titre de 90 jusqu’à celui de 100 qui est le plus fin. On en voit aussi du titre de 80, c’est celui qui est de plus bas aloi : il n’est point de mise, à moins que l’on n’en augmente le poids, jusqu’à la valeur de celui qui doit passer dans le commerce.

Les lingots qui sont de l’argent le plus fin, ne s’emploient que pour payer de grosses sommes. Les Chinois sont très habiles à juger du titre de l’argent par la seule vue, et ils ne s’y méprennent presque jamais. La difficulté est de s’en servir dans le détail : il faut quelquefois les mettre au feu, les battre, les aplatir à grands coups de marteau, afin de pouvoir les couper plus aisément en petites parties, et en donner le poids dont on est convenu. D’où il arrive que le paiement est toujours plus long et plus embarrassant que n’a été l’achat.

Ils avouent qu’il serait bien plus commode d’avoir, comme en Europe, des monnaies d’un prix fixe et d’un poids déterminé ; mais ils disent que les provinces fourmilleraient de faux monnayeurs, ou de gens qui altéreraient les monnaies, et que cet inconvénient n’est plus à craindre, quand on coupe l’argent à mesure qu’on en a besoin, pour payer le prix de ce qu’on achète.

Il est difficile qu’en coupant si souvent de l’argent, il n’en échappe quelque paillette ; aussi voit-on les gens du menu peuple occupés à recueillir et à laver les immondices, qui se jettent des boutiques dans la rue, et ils y trouvent un gain suffisant pour les faire subsister.

La monnaie de cuivre est la seule où il y ait empreinte de caractères, elle est d’usage dans le petit commerce, Ce sont des deniers de cuivre ronds et troués par le milieu, qu’on enfile dans de petites cordes centaine par centaine jusqu’au nombre de mille. Le métal n’en est ni pur, ni battu. Il en faut dix pour faire un sol : dix sols font la dixième partie de l’écu chinois qu’on nomme leang, et que les Portugais appellent tael, qui vaut environ cent sols de notre monnaie.

Ces deniers ont été de tout temps la monnaie courante de la Chine, et les curieux en conservent des dynasties les plus reculées, qui ont passé de famille en famille, ou qui ont été trouvées dans les ruines des palais et des villes. Ce que je m’en vais dire est tiré d’un ancien livre sur les monnaies, composé par un auteur chinois, qui vivait sous la dynastie des Song, lequel m’a été envoyé par le P. Dentrecolles.

Il traite de la matière et de la forme des monnaies ; de leurs inscriptions ; de leur valeur, et des dynasties où elles ont eu cours ; il parle ensuite des monnaies incertaines ; c’est-à-dire, dont on ignore le temps où elles avaient cours ; des monnaies étrangères qui ont été reçues dans le commerce ; et enfin des monnaies superstitieuses, c’est-à-dire, auxquelles dans la suite du temps, la bizarrerie du peuple a attaché certaines idées remplies de superstitions.

Le mot chinois tsuen, dont on se servait autrefois, pour exprimer ce que nous appelons monnaie, signifie dans le sens propre une eau de source qui coule sans cesse, et dans le figuré cette espèce de métal, qui passe continuellement de main en main. Mais depuis longtemps on lui donne le nom de tsien et l’on dit tong sien, monnaie de cuivre, in tsien, monnaie d’argent. C’est ainsi que l’on nomme à Canton les piastres et les écus de France.

Le cuivre dont on se sert pour cette basse monnaie n’est point pur, comme je l’ai dit, et il y a toujours du mélange. Les deniers de bon aloi ont quatre parts de plomb sur six parts de cuivre. Cet alliage est cause que le cuivre rouge perd sa couleur, qu’il cesse d’être sonnant, et que les deniers qui en sont fabriqués, quoiqu’ils soient épais, se peuvent rompre aisément avec les doigts quand on a de la force. Ces deniers sont d’usage dans les petits achats : si la somme devient un peu considérable, on les donne enfilés en forme de chapelets, dont chacun est de mille.

Il y a eu des temps où la monnaie d’or et d’argent a eu cours à la Chine, de même que celle de cuivre. L’auteur chinois cite d’anciens livres, qui assurent, que sous le règne d’Yu fondateur de la première dynastie nommée Hia, on se servait de monnaies d’or, d’argent, et de cuivre ; et que sous d’autres dynasties, il y a eu d’anciens empereurs qui avaient permis dans toutes les provinces de l’empire, l’usage des pièces étrangères d’or et d’argent.

Il y a eu aussi des monnaies d’étain, de plomb, de fer, de même de terre cuite, sur laquelle on avait imprimé des figures et des caractères. On rapporte qu’après le règne de Han, un prince fit faire de cette monnaie de terre sigillée et liée avec de la colle forte ; que la fantaisie lui avait pris d’abolir la monnaie de cuivre, qu’il en ramassa le plus qu’il lui fut possible, et qu’en ayant fait enfouir dans la terre une quantité prodigieuses, il fit mourir les ouvriers qui avaient servi à cette expédition, afin d’en dérober entièrement la connaissance.

Certains petits coquillages appelés poei à la Chine, et coris dans le royaume de Bengale, ont servi pareillement de petite monnaie. Il en fallait donner plusieurs pour égaler la valeur d’un denier. L’usage d’une pareille monnaie n’a pas été de longue durée. Au regard de la forme des monnaies, il y en a eu de différentes figures assez bizarres sous les différents règnes. Depuis la précédente dynastie, les deniers ont toujours été de figure ronde, avec un trou carré au milieu, garni d’une bordure qui a un peu de saillie. Ce trou a été fait pour pouvoir les enfiler, et les porter sur soi comptés par mille. Chaque centaine est séparée par un cordon entrelacé dans le dernier ; qui finit la centaine. On trouve dans l’histoire de la dynastie des Han qui est très ancienne, que dès ce temps-là la monnaie avait une pareille ouverture.

Selon un ancien auteur, outre les monnaies de figure ronde, il y en avait dès le commencement de la première dynastie, qui étaient faites en forme de coutelas, et qu’on nommait tao, qui signifie coutelas. D’autres ressemblaient au dos d’une tortue, et pour cette raison se nommaient kouei. Enfin d’autres s’appelaient pou, d’une forme assez extraordinaire, et telle qu’on la verra gravée dans la planche. Les monnaies rondes avaient pour l’ordinaire un pouce ou un pouce de demi de diamètre : on ne laissait pas d’y en avoir qui étaient deux fois plus grandes.

Les monnaies appelées pou et tao étaient longues de cinq pouces, et paraissaient avoir du rapport aux coupans du Japon. Quoiqu’elles fussent percées en haut, elles étaient incommodes dans l’usage, et c’est ce qui les fit abolir.

On a vu pendant un temps des deniers si petits, qu’on les avait nommés des yeux d’oie : ils étaient si minces, qu’ils surnageaient dans l’eau, et qu’en les maniant, on courait risque de les briser. Il en fallait dix mille pour acheter une mesure de riz, suffisante pour la nourriture d’un homme pendant dix jours. Ces deniers parurent pour la première fois sous le règne des Song, et ne subsistèrent que peu de temps, parce qu’on les rebutait dans le commerce.

Sous la première dynastie des Tang, les rivages du fleuve Jaune s’étant éboulés, on avertit l’empereur qu’on avait trouvé trois mille trois cents pièces de monnaie qui avaient trois pieds : les caractères qui y étaient imprimés ne paraissaient plus, et la terre les avait rongés. Une monnaie si ancienne était sans doute des premières dynasties Hia, Chang, et Tcheou ; car les empereurs de ces temps là, tinrent souvent leur cour assez près de ce grand fleuve.

Mais quelle est la marque, ou inscription de ces monnaies ? En Europe elles sont marquées au coin du prince. Il n’en est pas de même à la Chine. Ce serait, selon le génie de cette nation, une chose indécente et peu respectueuse pour la majesté impériale, que le portrait du prince passât continuellement par les mains des marchands et de la plus vile populace.

Les inscriptions des monnaies sont assez ordinairement des titres pompeux, que les princes régnants ont donné aux différentes années de leur règne, comme, par exemple, l’éternellement éclatant, le souverainement pacifique, le magnanime, etc. Les savants ne se méprennent pas à ces titres, et ils n’ont garde d’en conclure que chaque titre marqué sur la monnaie,