Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/334

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autre province. Il en faut juger par la prononciation gutturale, qui se trouve dans la langue espagnole, et par les différents tons dont on se sert dans la langue française et la langue italienne : ces tons sont presque imperceptibles, et ne laissent pas de signifier différemment ; ce qui a donné lieu au proverbe qui dit, que le ton fait tout.


Les Chinois se servent de figures pour exprimer leurs pensées.

L’art de joindre ensemble ces monosyllabes, surtout en écrivant, est très difficile, et demande beaucoup d’étude. Comme les Chinois n’ont que des figures pour exprimer leurs pensées, et qu’ils manquent d’accents qui varient sur le papier la prononciation, ils ont besoin d’autant de figures ou de caractères différents, qu’il y a de différents tons, qui donnent au même mot des significations si diverses.

Il y a d’ailleurs des caractères qui signifient deux ou trois paroles, et quelquefois des périodes entières : par exemple pour écrire ces paroles : bonjour, Monsieur : au lieu de joindre le caractère qui signifie, bon, et celui qui signifie jour, avec celui qui signifie Monsieur, on doit se servir d’un caractère différent, qui seul exprime ces trois paroles : et c’est ce qui multiplie si fort les caractères chinois. Il n’en est pas comme de nos langues d’Europe, où l’on connaît les diverses significations d’un même mot, par les divers accents qui en fixent la prononciation, ou bien par l’endroit où le mot est placé, et par la suite du discours.

Il est vrai qu’on ne laisserait pas de se faire entendre, en joignant ensemble les caractères de chaque monosyllabe : mais cette manière de s’exprimer en écrivant est triviale, et n’est en usage que parmi le peuple. Le style dont on écrit, lorsqu’on veut briller dans les compositions, n’a nul rapport avec celui dont on parle, quoique les paroles soient les mêmes : et un homme de lettres se rendrait ridicule s’il écrivait de la manière dont on a coutume de s’exprimer dans la conversation.


Rapport des caractères chinois avec ceux du Japon.

Il faut en écrivant se servir de termes plus choisis, d’expressions plus nobles, et de certaines métaphores qui ne sont pas de l’usage ordinaire ; mais qui sont propres à la matière qu’on traite, et aux livres qu’on compose. Les caractères de la Cochinchine, du Tong king, du Japon, sont les mêmes que ceux de la Chine, et signifient les mêmes choses, sans toutefois que ces peuples en parlant, s’expriment de la même sorte. Ainsi, quoique les langues soient très différentes, et qu’ils ne puissent pas s’entendre les uns les autres en parlant, ils s’entendent fort bien en s’écrivant, et tous leurs livres sont communs. Ces caractères sont en cela comme des chiffres d’arithmétique : plusieurs nations s’en servent : on leur donne différents noms ; mais ils signifient partout la même chose.


Devoir des lettrés à ce sujet.

C’est pourquoi les lettrés ne doivent pas seulement connaître les caractères, qui sont en usage dans le commerce ordinaire de la vie ; ils doivent savoir encore leurs diverses combinaisons, et les divers arrangements, qui de plusieurs traits simples, font des caractères composés : et comme l’on compte jusqu’à quatre-vingt mille de ces caractères, celui qui en sait le plus, est aussi le plus savant, et peut lire et entendre un plus grand nombre de livres : d’où l’on peut juger combien il faut d’années, pour connaître