Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/556

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Discours ou mémoire de Kia y, adressé à l’empereur Ven ti.


Grand empereur, lorsque je considère attentivement l’état présent de votre empire, j’y vois une chose capable de faire jeter les hauts cris ; deux autres choses me tirent les larmes des yeux ; six autres me font pousser de grands soupirs ; sans compter mille défauts moins considérables, qui sont cependant contre la raison, et nuisent au bon gouvernement, mais dont il me serait impossible de vous faire ici le détail. Dans tous les écrits qu’on présente à Votre Majesté, chacun répète ces paroles : l’empire n’a plus rien à craindre, la paix est bien établie, tout y est dans l’ordre. Pour moi, je suis bien éloigné de penser de la sorte : quand on vous parle ainsi, c’est ou par flatterie, ou faute de lumière. Car enfin supposons un amas de bois, un homme endormi dessus, le feu mis dessous. Cet homme, quoique le feu ne soit pas encore venu jusqu’à lui, n’a-t-il rien à craindre ? Or n’est-ce pas une peinture assez naturelle de l’état présent des affaires ? On néglige ce qu’il y a de capital, pour donner toute son attention à ce qui est le moins important. Il y a dans le gouvernement une conduite fort irrégulière, mal soutenue, sans aucune règle constante, et comment dit-on que tout est dans l’ordre ? Je n’en puis tomber d’accord, mais je souhaiterais plus que personne que cela fût ainsi.

Pour le mettre ce bon ordre dans l’empire, et assurer par là sa tranquillité, j’ai mûrement pensé au moyen de l’établir, et c’est ce que j’ose vous exposer dans ce discours. Je supplie Votre Majesté de le lire avec quelque exactitude, pour en tirer ce qu’elle y pourra trouver de bon. Je ne vous proposerai rien qui puisse vous fatiguer trop l’esprit et le corps. Je n’exige point que vous vous priviez du plaisir de la musique, qui vous charme. Mais ce qui est plus important, et ce qui n’est pas incompatible, c’est de contenir dans le devoir tous les princes tributaires, de prévenir la levée et les mouvements des troupes, d’entretenir la paix avec les Hiong nou[1], de vous faire obéir par tous vos sujets, de vous attacher même les plus éloignés de votre cour, de travailler surtout à les rendre bons, et à diminuer, autant qu’il se peut, les procès et les crimes.

Voilà des points essentiels et capitaux. Si vous y réussissez, ce que je crois très praticable, vous rendrez l’empire heureux, et vous mériterez des louanges et des honneurs qui ne finiront jamais. Votre postérité, en admirant les exploits de votre père, louera encore plus votre vertu : elle vous regardera toujours comme cofondateur de la dynastie ; et ce miao que vous vous êtes bâti par avance, auquel vous avez donné l’inscription

  1. C'est ainsi que les Chinois désignaient certains Tartares de la Chine.