Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/572

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était en quelque façon contre le respect dû au prince, d’y assujettir ceux que leur rang approchait de sa personne, et ils croyaient que, comme le prince ne doit élever à ces rangs distingués que des personnes d’un vrai mérite, il convenait peu d’employer de tels moyens pour les contenir dans le devoir.

En effet, nous ne trouvons point dans l’antiquité, qu’un prince sage en ait fait mourir dans les supplices. Les choses à cet égard sont bien changées. On y assujettit ceux-là mêmes, que nos anciens empereurs appelaient par honneur, en leur parlant, pé fou[1], pé kieou ; ceux à qui nos empereurs encore aujourd’hui font civilité quand ils les rencontrent. Les kong, les heou, les vang même subissent comme le simple peuple, des punitions infamantes. On leur marque le visage, on leur coupe le nez, on leur rase les cheveux, on les fouette, et on les expose en plein marché ; on leur coupe le corps par morceaux. Disons plus : il n’est point trop rare qu’on fasse subir aux officiers les plus distingués par le rang qu’ils tiennent, le plus honteux de tous les supplices, en leur faisant trancher la tête. Pousser les choses à cet excès, avoir si peu d’égard pour les premiers rangs ; outre que c’est le moyen de faire que ceux-là-mêmes qui les occupent, prennent des inclinations basses ; c’est aller contre le proverbe, et respecter bien peu le vase.

Un autre proverbe dit encore : quelque propres que soient des souliers, on n’en fait pas son chevet ; et quelque commun que soit un bonnet, on n’en raccommode pas ses souliers. Autrefois cassait-on un grand officier, pour n’être pas assez désintéressé ? On adoucissait sa faute au dehors, et l’on disait seulement qu’il n’entendait pas les rits. Le cassait-on pour sa débauche ? On évitait d’exprimer ainsi son crime : on disait : les rideaux chez lui[2] sont trop clairs. Si on le cassait comme un homme faible, et peu capable de son emploi, on disait que ses subalternes lui obéissaient mal. Un officier était-il déclaré coupable ? Si la faute était médiocre, il quittait d’abord son emploi, et la chose en demeurait là. Si la faute était capitale, aussitôt que le prince l’avait jugée telle, l’officier tourné vers le nord, faisait[3] les révérences ordinaires, se condamnait lui-même à mourir, et se donnait en effet la mort ; tant l’antiquité respectait les Grands, fussent-ils coupables. Faut-il donc laisser impunies leurs fautes ? Non : qu’on les casse, qu’on les punisse même de mort s’ils le méritent. Mais les faire saisir, garrotter, fustiger, les mettre entre les mains des plus vils officiers de justice, comme le moindre particulier ; c’est un spectacle qui n’est d’aucune utilité ni aux petits, ni aux grands.

Il est pernicieux aux peuples, dans l’esprit desquels il détruit cette importante maxime. Respectez ceux qui sont sur vos têtes, et qui par leur rang sont respectables. Il est pernicieux pour les Grands, dans lesquels il affaiblit

  1. C’est comme qui dirait mon grand oncle. Comme nos rois disent à des personnes d’un certain rang : mon cousin.
  2. Pour indiquer que les hommes et les femmes se voyaient communément, choses contraires aux mœurs de la Chine.
  3. L’empereur est assis le dos tourné vers le nord, et le visage vers le midi.