Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/648

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ven vang et Confucius ont eu leurs maîtres : et si ces grands hommes en ont eu besoin, à plus forte raison les autres. Aussi une des plus remarquables différences d’un bon prince à un méchant, c’est que le bon prince soupire après les gens de mérite et de vertu, comme le laboureur attend la récolte ; et les reçoit avec même joie, que le laboureur auparavant menacé d’une sécheresse, voit tomber sur ses campagnes une abondante pluie ; au lieu que le méchant prince n’a communément que de l’aversion pour quiconque vaut mieux que lui ; et ne donne accès auprès de sa personne qu’à des gens sans mérite et sans vertu. O qu’il est difficile, de se bien défaire des mauvaises inclinations qu’on a trop longtemps nourries. Vang puen et Sun hao contrefirent d’abord les bons princes : mais comme ils n’agissaient que par intérêt et que leur vertu prétendue n’était qu’hypocrisie et que feinte, ils ne se soutinrent pas ; ils revinrent à leur génie : on les reconnut pour ce qu’ils étaient, et on les abandonna ; une barque de simples planches unies précisément avec de la colle, ne peut tenir longtemps contre de grands flots. Tel cheval qu’on nourrit exprès, pour qu’il fasse dans l’occasion cent lieues d’une traite, quand il est mis à l’épreuve, crève souvent sans l’achever. C’est ce qui arriva justement à Vang puen et Sun hao. On vit se vérifier en leurs personnes, comme on l’a vu dans bien d’autres, ces proverbes de nos anciens : que comme le chin[1] ne peut servir, quand on veut mesurer de grosses pierres ; aussi une médiocre habileté ne suffit pas pour de grandes choses, etc. et que la vertu la plus simple, si elle est réelle et constante, vaut mieux que la plus artificieuse politique.

O ! qu’il y a de différence d’homme à homme, de prince à prince ! Kao tsou respecta Li song jusqu’à soutenir ses habits pour lui faire honneur. Siu tcheou choqué des sages avis de Pi kan, lui fit cruellement arracher le cœur. Tching tang eut toujours pour son ministre Y yun une véritable estime et une amitié sincère. Kié avait dans Long pong un ministre sage et zélé : il le fit mourir dans les supplices. Tchuang roi de Tsou, après avoir tenu ses conseils, et y avoir fait paraître une habileté supérieure à celle de tous ses ministres, sortait de là triste et rêveur[2]. Il portait même cette tristesse jusque dans ses heures de relâche. Vou hou tout au contraire se faisait un sujet de joie, et triomphait, pour ainsi dire, d’une supériorité semblable. C’est que les princes sans lumières veulent cacher ou soutenir leurs défauts, et que les princes éclairés cherchent à connaître ce qui leur manque.

Quand je jette les yeux sur Kao tsou et sur Tching tang, je compare les règnes de ces grands princes à ces années remarquables par un juste tempérament de froid et de chaud, et par le règlement des saisons qui met partout l’abondance. On dit que quand l’empire est bien gouverné, paraît alors le Kiling animal de bon augure. Moi je dis : Kao tsou et Tching tang

  1. Un chin est la dixième partie d’un teou. Un teou est la dixième partie d’un tan ; un tan, par exemple, de riz, est cent, ou tout au plus cent vingt livres.
  2. Il craignait que s’il venait à se tromper, personne ne le redressât.