Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/773

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pur honneur, il se tromperait. Ces gens-là ne s’en payeraient point, et ils seraient mécontents.

Vouloir toujours l’emporter, est un défaut considérable. Cependant comme il y a des gens de ce caractère, qui, d’ailleurs ont du mérite et du talent, si le prince veut s’en servir, il doit se résoudre à les ménager, et à faire en sorte qu’on les ménage. Sans quoi faute de les bien connaître, ils se dépitent et se brouillent avec les autres.

Il y en a d’autres qui se haïssent mutuellement. Le prince doit prendre garde à ne les pas faire servir ensemble. Tel sacrifiera à sa vengeance le succès de la plus utile entreprise. Celui-ci est d’une fermeté et d’une roideur inflexible. Il y a des occasions où il faut des gens de ce caractère : employez-les alors. Mais n’entreprenez point de les faire plier ; ils rompront, et c’est les perdre. Celui-là, tout au contraire, est fort timide : ne forcez point sa timidité. Vos affaires en souffriraient. Il pourra vous bien servir, où il n’aura rien à craindre. C’est ainsi qu’un prince doit étudier le caractère de ceux qui le servent, pour se les tenir tous attachés, et tirer avantage de leurs talents.

Mais il a besoin d’une attention encore plus particulière, pour découvrir et prévenir les méchants desseins qu’on peut former. Ceux qui pensent à se faire chefs de parti, sont communément d’une dissimulation extrême. Leurs démarches sont si subtiles, qu’il n’est pas aisé de les apercevoir. Quand ils veulent réellement agir d’un côté, ils paraissent tourner de l’autre. Ce ne sont que fausses attaques et contre-marches. On a vu des hommes de ce caractère dans les temps passés, qui visant dans le fond à usurper toute l’autorité du prince, bien loin de le contredire en rien, le servaient avec toute la complaisance et toute l’assiduité possible, étudiaient ses inclinations, et lui procuraient avec soin les occasions de les satisfaire. Leur vue était de faire en sorte que le prince livré à ses plaisirs abandonnât le gouvernement. Alors ils profitaient de l’occasion ; et sans que le prince y prît garde, ils se saisissaient adroitement de l’autorité qu’il avait comme déposée entre leurs mains. Ainsi se comporta autrefois Li lin fou. Au reste, quand une fois ces sortes de gens se sont emparés de l’autorité ; dans la crainte continuelle où ils sont, que quelqu’un aussi habile ou plus puissant qu’eux, ne les supplante, tout leur soin est de penser aux moyens de se maintenir. Un de ceux qu’ils prennent d’ordinaire, est de former, ou de fomenter dans l’État divers partis. Par là ils se rendent comme nécessaires : et ceux qui pourraient leur nuire, étant d’ailleurs occupés à se soutenir eux-mêmes, ceux-ci jouissent cependant du fruit de leur artifice. C’est encore ce que fit Li lin fou.

Ce ne sont pas seulement les princes vicieux et déréglés, qui ont à craindre d’être ainsi surpris : Un prince aime-t-il les gens de bien ? A-t-il de l’inclination et de la considération pour la vertu ? Il ne manque point d’âmes basses qui en font trafic ? Comment cela ? C’est que, si l’on n’y prend bien garde, le vice déguisé paraît vertu, et la vertu défigurée paraît vice. Tel donc qui a ses desseins, sait que son prince fait cas de la vertu ;