Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/878

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proches de leur mort. Les misères de l’État sont encore plus grandes que les richesses de mon mari. Il ne saurait avec ce qu’il a amassé, acheter l’amour des peuples. Il me semble voir de près de grands malheurs. Je voudrais bien m’y soustraire moi et ce cher enfant.

Ce discours acheva d’irriter la mère de Ta tse  ; sa colère alla si loin qu’elle chassa sa bru. Celle-ci se retira chez sa mère avec son enfant : et cette année là même Ta tse s’étant démis de son emploi, fut malheureusement assassiné lui et ses gens, par une troupe de brigands qui enlevèrent toutes ses richesses. Il n’y eut que la mère de Ta tse à qui l’on négligea d’ôter la vie. Sa bru retourna incessamment auprès d’elle, pour la servir dans sa vieillesse. Chacun louait la prévoyance de cette bru, et la sagesse qu’elle avait fait paraître en préférant la vertu aux richesses. L’on était ravi de voir, qu’après avoir sauvé sa vie et celle de son fils, par sa résolution et sa prévoyance, elle répara par son assiduité à servir sa belle-mère, ce qu’il y avait eu de défectueux dans la manière de se retirer.


Yen tse premier ministre de Tsi, était un homme d’une fort petite taille, et avait parmi ses domestiques un géant de huit pieds de haut. La femme de ce domestique, qui servait aussi chez Yen tse, un jour que ce ministre sortit en cérémonie, fut curieuse de voir le train. Elle remarqua que son mari faisait caracoler son cheval, se dressait sur ses étriers, et enfin se donnait de grands airs, et paraissait tout fier de sa belle taille. Quand le train fut revenu, la femme de ce géant l’apostrophant en particulier. Certainement, lui dit-elle, vous êtes un pauvre homme, vous méritez bien de demeurer dans la bassesse de votre rang. Le mari surpris de ce compliment, auquel il ne s’attendait pas, lui demanda ce qu’elle vouloir dire. Voyez, reprit la femme, voyez le maître que vous servez : à peine a-t-il trois pieds de haut : cependant il a su parvenir à la première charge de l’empire, et il s’en acquitte de manière, qu’il procure à son prince beaucoup de gloire ; malgré cela il ne s’en fait point accroire. Je le regardais ce matin sortir avec tout son train, j’ai admiré son air modeste, humble, rêveur et presque timide. Au contraire j’ai pris garde que vous, qui, avec votre stature de huit pieds, n’êtes après tout qu’un esclave, vous vous donniez des airs importants et paraissiez plein de vous-même. J’en ai eu honte pour vous, et je me suis au plus tôt retirée. Cet homme reçut bien la réprimande, témoigna qu’il voulait se corriger, et demanda à sa femme comment elle croyait qu’il dût s’y prendre. Imitez, répondit-elle, imitez Yen tse votre maître. Heureux, si vous pouvez renfermer sous votre stature de huit pieds, autant de sagesse et de vertu, qu’il en possède dans un petit corps, servez-le comme il sert son prince. Si vous aimez à vous distinguer, c’est par là qu’il faut le faire. On le dit, et il est vrai, la vertu peut combler de gloire un homme jusque dans la condition la plus basse ; et cette gloire est bien plus solide, que celle de ceux que l’éclat de leur condition rend fiers et orgueilleux.

Le mari profita si bien de cette leçon, qu’il changea entièrement : on ne voyait personne plus humble, plus modeste, plus assidu au service, plus zélé