Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/892

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de l’autre, et se coupe le nez. Me voilà punie, dit-elle, d’avoir laissé tant de gens douter de ma fermeté. Allez rendre réponse au roi, et dites-lui que si je ne me donne pas la mort, c’est que je n’ai pas le courage d’abandonner mon fils dans un si bas âge. Ce que je viens de faire suffit. C’est sans doute pour ma beauté, que le roi me recherchait. Dites-lui que mon visage n’est plus qu’un reste difforme et défiguré. Il se désistera sans peine. L’officier rapporta au roi ce qu’il avait vu. Le prince loua la résolution de la jeune veuve, lui donna le titre de Kao king, et lui décerna d’autres honneurs.


Un jeune officier de Tchin venait d’épouser une fille de seize ans, lorsqu’il s’éleva tout à coup une guerre, qui l’obligea d’aller servir. Avant que de quitter sa femme : on ne sait, lui dit-il, qui meurt ni qui vit. Qui peut m’assurer que j’échapperai des dangers de cette guerre ? Je vous laisse ma bonne mère, qui n’a point d’autre enfant que moi. Au cas que je meure, que deviendra-t-elle ? Voulez-vous bien me promettre d’en avoir soin ? Oui, dit sa femme, je vous le promets.

L’officier étant effectivement mort à la guerre, la jeune veuve prit un très grand soin de sa belle-mère, travaillant elle-même de ses propres mains le jour et la nuit, pour qu’elle ne manquât de rien. Les trois ans du deuil étant finis, comme elle était jeune et sans enfants, son père et sa mère voulurent la rappeler auprès d’eux, pour la marier en secondes noces. Mais la jeune veuve en rejeta vivement la proposition. La fidélité et la justice leur dit-elle, sont nos principaux devoirs. Vous-même vous ne m’avez rien tant recommandé en me mariant, que l’attachement et l’obéissance à mon mari. Or vous saurez que ce cher mari prêt à partir pour la guerre où il a perdu la vie, me témoigna l’inquiétude que sa piété lui inspirait, sur ce que deviendrait sa mère, au cas qu’il vînt à lui manquer, et me demanda si je voulais bien lui promettre d’en avoir soin. Je le lui promis. D’ailleurs c’est le devoir d’une bru de servir sa belle-mère. Bien loin que la mort de mon mari m’en dispense, elle m’impose plutôt à cet égard une nouvelle obligation. Ne le pas faire, ce serait me rendre coupable d’infidélité et d’injustice, feu mon mari passerait pour un méchant fils, qui n’aurait pas su pourvoir efficacement à l’entretien de la mère, et qui s’en serait reposé légèrement sur une épouse peu fidèle. Plutôt mourir que d’exposer mon mari, ou de m’exposer moi-même à de semblables reproches.

Le père et la mère voyant la résolution de leur fille, ne lui parlèrent plus de se remarier. La belle-mère vécut encore vingt-huit ans. La bru fournit toujours à tous ses besoins, et la servit assidûment jusqu’au dernier soupir. Elle lui rendit après sa mort les derniers devoirs, et n’omit rien à son égard des cérémonies réglées. La constance, la fidélité, et l’assiduité de cette veuve à servir sa belle-mère, la firent beaucoup estimer. Le magistrat de Hoai yang en fit son rapport à la cour. L’empereur, qui régnait alors, lui envoya quarante livres d’or, lui donna le titre de Hiao fou[1], et lui décerna d’autres honneurs.

  1. Hiao. Piété filiale, pieux, pieuse. Fou. Femme mariée, ou qui l'a été.