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LES VILLES DU NIGER

nous occupons le Soudan, des moyens limités dont on dispose pour le faire progresser, on reconnaîtra qu’une pareille force morale est des plus précieuses.

Les commandants des postes et forts voisins ont-ils besoin de réunir des approvisionnements en céréales, de recruter des tirailleurs, de rassembler des porteurs, de s’assurer des agents de confiance ? Pour n’importe quel service ils peuvent compter sur Mademba autant que sur n’importe quel Européen. Tout blanc qui passe à Sansanding, que sa position soit importante ou minime, y trouve l’accueil d’un ami. N’a-t-on vu Mademba qu’une seule fois et fait-on appel à ses bons offices, il fera l’impossible pour vous obliger. Ce noir est à l’heure actuelle le petit Manteau-Bleu des Européens au Soudan. Ayant apprécié tous les bénéfices qu’il a lui-même tirés d’une éducation occidentale, quoique musulman, il fait élever ses deux fils aînés à l’européenne chez les frères des Écoles chrétiennes de Saint-Louis. Abonné à nos journaux, il se tient au courant de la politique et des choses de France, mais plus particulièrement du mouvement colonial, et dans son royaume fait de la colonisation pratique. Il commande à Paris des semences et tente des cultures nouvelles. Son jardin d’essai est sur les bords du Niger. J’y ai vu du blé, des pruniers, des pêchers, etc., en espérance. Les indigènes ont fort bien observé cette attitude et lui rendent hommage dans ce propos que j’ai souvent entendu : « Mademba n’est pas un nègre, c’est un toubab (Européen). » Non pour dire qu’il a renié sa race ou sa couleur, mais pour exprimer avec quelque fierté qu’un des leurs s’est élevé à la hauteur de ces Européens dont les progrès causent leurs incessants étonnements. De son côté, l’Européen ratifie ce jugement, et à sa manière : il ne tutoie pas Mademba, ainsi que le veut le langage même des noirs, et, pour tout, le traite comme un blanc.

Ai-je besoin de dire que j’ai passé à la cour du roi ou, selon