Page:Dubos - Histoire critique de l'établissement de la monarchie françoise dans les Gaules, Tome I, 1742.djvu/115

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Etat. On ne pouvoit pas citer les Militaires devant un Tribunal, autre que celui de leurs Officiers. Bref, qu’on lise dans Juvenal combien il résultoit d’inconveniens des Privileges dont les Troupes s’étoient mises en possession. Le plus pernicieux étoit, qu’elles se figuroient souvent d’être en droit de destituer et de nommer l’Empereur, peut-être parce qu’originairement la Dignité Imperiale n’étoit autre que celle de Général digne de son Emploi. C’étoit ce Titre, c’étoit le commandement de toutes les Troupes qui avoient donné moyen à Auguste, le premier des Empereurs Souverains, de s’arroger aussi-tôt qu’il les eût usurpés, et l’autorité qui appartenoit au Sénat, & le Pouvoir suprême qui appartenoit au Peuple Romain.

On conçoit bien présentement avec quelle facilité le Gouverneur d’une Province armée, qui étoit à la fois audacieux et perfide, pouvoit se faire proclamer Empereur. Cependant dès qu’il avoit été proclamé, il se trouvoit le maître absolu de sa Province, puisque les Officiers qui devoient y rendre la Justice & ceux qui manioient sur les lieux les deniers publics, étoient dès avant sa révolte aussi soumis à ses ordres que les Officiers Militaires. Il avoit mis en place la plûpart de ceux qui lui étoient subordonnés, il connoissoit de longue main les autres, & tous ils étoient depuis long-tems dans l’habitude de lui obéïr.

Aussi voyons-nous que dans les trois siécles écoulés depuis Auguste jusqu’à Constantin, plus de cent Gouverneurs de Provinces armées se sont fait proclamer Empereurs par les Troupes qu’ils commandoient. Si quelques-uns ont succombé dans l’entreprise de se mettre à la place de leur Maître, plusieurs autres y ont réüssi. Parmi les cinquante Princes qui ont rempli le Trône depuis Auguste jusqu’à Constantin, on compte vingt de ces Usurpateurs heureux, qui après s’être fait proclamer Empereurs par une armée rebelle, ont été reconnus par le Peuple Romain. On ne trouve point dans la liste de nos cinquante Empereurs un aussi grand nombre de Princes qui ayent succedé à leurs Prédecesseurs comme leurs fils, soit adoptifs, soit naturels. Combien d’autres Gouverneurs ont tenté de se faire saluer Empereurs par leurs Soldats, même sous le regne des plus grands Prin-