Page:Dubos - Histoire critique de l'établissement de la monarchie françoise dans les Gaules, Tome I, 1742.djvu/612

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n’ait point été relevée dans le tems même qu’elle fut faite et qu’elle ait pû conséquemment être adoptée par les écrivains posterieurs ?

Je crois bien que la faute de cet auteur aura été remarquée par quelqu’un de ses contemporains. La tradition conservoit encore dans le septiéme siecle la mémoire des évenemens considérables arrivés dans le cinquiéme ; mais ou personne n’aura mis son observation par écrit, ou l’ouvrage qui la contenoit sera demeuré inconnu. Il aura péri comme plusieurs autres. Ainsi l’abregé au bout de quelques années se sera trouvé sans contradicteur, et les hommes sont si sujets à se tromper qu’ils auront réformé la tradition pour la rendre conforme à la teneur de cet ouvrage. Tout le monde aura cru à la fin qu’il falloit éclaircir le texte de Gregoire de Tours, qui, s’il est permis de parler ainsi, ne se défend point par lui-même, en l’expliquant comme l’auteur qui en avoit fait l’épitome l’avoit expliqué.

Je sçai bien que tout cela paroît impossible à croire, quand on veut en juger par ce qui arriveroit aujourd’hui en pareil cas. On tireroit quinze cens exemplaires d’un ouvrage de même nature que l’abregé de Gregoire de Tours. Une infinité de personnes remarqueroient une faute aussi sensible que celle dont il est ici question, et les journaux litteraires qui tous en feroient mention, seroient cause qu’on la corrigeroit dans les éditions suivantes. Du moins ils préserveroient les écrivains des âges posterieurs d’adopter cette faute-là. Mais dans le septiéme siécle, on ne faisoit que des copies à la main d’un ouvrage nouveau. On ne l’imprimoit pas. Il se faisoit donc une trentaine de copies du livre dont on imprime présentement en six ans quatre mille exemplaires. Au lieu que dix mille personnes ont d’abord connoissance d’un livre nouveau depuis que les livres se multiplient par l’impression, il n’y avoit pas cent personnes qui eussent d’abord connoissance d’un livre nouveau dans les tems où les livres ne se multiplioient que par le moyen des copies manuscrites. Il n’y avoit dans le septiéme siécle ni dictionnaires critiques, ni journaux litteraires ni d’autres répertoires des fautes des auteurs. Ainsi les observations que quelques personnes éclairées auront faites sur l’ouvrage de l’abbreviateur n’auront pas été connuës de l’auteur des Gestes. Enfin comme ces observations n’avoient pas, pour ainsi dire, été enregistrées dans aucun dépôt public, elles n’auront point