Page:Dubos - Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture, 1733.djvu/101

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cependant cette affliction doit se manifester differemment en chaque spectateur, suivant l’observation que nous venons de faire. Or le poëte ne sçauroit rendre cette diversité sensible dans ses vers. S’il le fait sur la scene, c’est à l’aide de la déclamation, c’est par le secours du jeu muet des acteurs. On conçoit facilement comment un peintre varie par l’ âge, le sexe, la patrie, la profession et le temperament, la douleur de ceux qui voïent mourir Germanicus ; mais on ne conçoit point comment un poëte épique, par exemple, viendroit à bout d’orner son poëme par cette varieté, sans s’embarasser dans des descriptions qui rendroient son ouvrage ennuïeux. Il faudroit qu’il commençât par un détail fatiguant de l’ âge, du temperament, et même du vêtement des personnages qu’il veut introduire à son action principale. On ne lui pardonneroit jamais une énumeration pareille ; s’il fait cette énumeration dans ses premiers livres, le lecteur ne s’en souviendra plus, et il ne sentira pas les beautez dont l’intelligence dépend de ce qu’il aura oublié ; s’il fait cette énumeration immediatement avant la catastrophe, elle deviendra un retardement