Page:Dubos - Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture, 1733.djvu/135

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L’homme sans passion est une chimere, mais l’homme en proïe à toutes les passions n’est pas un être moins chimerique. Le même temperament qui nous livre aux unes, nous garentit des autres. Ainsi il n’y a que certaines passions qui aïent un rapport particulier avec nous, et dont la peinture ait des droits privilegiez sur notre attention. Les hommes qui ne ressentent pas les mêmes passions que nous, ne sont pas autant nos semblables que ceux qui les ressentent ; ces derniers tiennent à nous par des liens particuliers. Par exemple, Achile, impatient de partir pour aller faire le siege de Troïe, attire bien l’attention de tout le monde, mais il interesse bien davantage à sa destinée un jeune homme avide de la gloire militaire, qu’un homme dont l’ambition est de se rendre le maître de soi-même pour devenir digne de commander aux autres. Ce dernier s’interessera bien davantage au caractere que Corneille donne à l’empereur Auguste dans la tragedie de Cinna, et qui ne touchera que foiblement le partisan d’Achile. Les peintures d’une passion que nous n’avons pas ressentie, ou d’une situation dans laquelle nous ne nous sommes

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