Page:Dubos - Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture, 1733.djvu/148

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elle cessoit d’être grossiere sans être encore polie, elle a voulu montrer plus de gentillesse qu’elle n’en avoit. Trop spirituelle pour être encore barbare, mais trop peu éclairée pour connoître la dignité des mœurs ; elle a conçu dans l’amour un merite que les nations sensées n’y trouvent point. Elle s’est donc imaginée qu’il y eut une espece de vertu à dépendre en esclave des volontez, ou pour parler plus sincerement, des caprices de quelqu’infante, à lui rapporter tout ce qu’on faisoit, à ne vivre que pour la servir. Les carouzels et les tournois ont nourri cette manie par leurs livrées, leurs devises et tout leur badinage. Enfin il est devenu à la mode d’être amoureux dans un païs où tout se decide suivant la mode, même le merite des generaux et celui des predicateurs. De là sont nées les extravagances de tant d’amans dont la plûpart n’étoient point amoureux ; les uns se sont fait assommer en écrivant le nom des belles qu’ils pensoient aimer sur les murailles des villes assiegées ; d’autres sont allez de vie à trepas pour avoir voulu rompre dans les portes d’une ville ennemie leur lance enrichie des livrées d’une maîtresse qu’ils n’aimoient point, ou qu’ils n’aimoient

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