Page:Dubos - Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture, 1733.djvu/50

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

eux-mêmes touchez, nous touchent sans peine. Les acteurs dont je parle sont émus veritablement, et cela leur donne le droit de nous émouvoir, quoiqu’ils ne soïent point capables d’exprimer les passions avec la noblesse ni avec la justesse convenable. La nature dont ils font entendre la voix supplée à leur insuffisance. Ils font ce qu’ils peuvent ; elle fait le reste. De tous les talens qui donnent de l’empire sur les autres hommes, le talent le plus puissant n’est pas la superiorité d’esprit et de lumieres : c’est le talent de les émouvoir à son gré, ce qui se fait principalement en paroissant soi-même ému et penetré des sentimens qu’on veut leur inspirer. C’est le talent d’être comme Catilina, cujus rei libet simulator, qu’on appellera, si on veut, le talent d’être grand comedien. Ceux des anglois qui sont le mieux informez de l’histoire de leur païs, ne parlent pas d’Olivier Cromwel avec la même admiration que le commun de la nation ; ils lui refusent ce genie étendu, penetrant et superieur que lui donnent bien des gens, et ils lui accordent pour tout merite la valeur du simple soldat et le talent d’avoir sçu paroître penetré des sentimens