Page:Dubos - Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture, 1733.djvu/75

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Les poëmes dogmatiques, que leurs auteurs ont dédaigné d’embellir par des tableaux pathetiques assez frequens, ne sont gueres entre les mains du commun des hommes. Quel que soit le merite de ces poëmes, on en regarde la lecture comme une occupation serieuse, et non pas comme un plaisir. On les aime moins, et le public n’en retient gueres que les vers qui contiennent des tableaux pareils à ceux dont on loüe Virgile d’avoir enrichi ses georgiques. Il n’est personne qui n’admire le genie et la verve de Lucrece, l’énergie de ses expressions, la maniere hardie dont il peint des objets, pour lesquels le pinceau de la poësie ne paroissoit point fait : enfin sa dexterité pour mettre en vers des choses, que Virgile lui-même auroit peut-être desesperé de pouvoir dire en langage des dieux : mais Lucrece est bien plus admiré qu’il n’est lû. Il y a plus à profiter dans son poëme de natura rerum, tout rempli qu’il est de mauvais raisonnemens, que dans l’éneide de Virgile : cependant tout le monde lit et relit Virgile, et peu de personnes font de Lucrece leur livre favori. On ne lit son ouvrage que de propos deliberé, et il n’est point, comme l’éneide, un de ces