ME Juana y Parânos était venue passer la journée du duel auprès de Christiane, à l’hôtel des Champs-Elysées. Les dames déjeunèrent en tête à tête, et, pour répondre à la demande câline de l’Espagnole, on servit le café dans le boudoir ouvert sur une serre merveilleuse. Tandis que Mlle de Marbeuf, en robe gris-perle très simple et boutonnant haut, demeurait debout et pensive contre le vitrail
enguirlandé de roses, Juana se promenait, un éventail à la
main, fumait des cigarettes, balayait le sable de l’éblouissante
traîne de sa jupe rouge vif, en admirant les végétations
bizarres : des iris monstrueux soufflaient les parfums
empoisonneurs ; des cactus riaient de leurs lèvres sanglantes ; des aloès
étalaient des griffes et des pointes de métal verni ; de larges
feuilles de velours sombre et aux plaies rougeâtres dormaient,
baignées d’eau verte et chaude, et lorsque le doigt de l’étrangère
les touchait, ces plantes sinistres se dégageaient des mousses,
enflaient le dos, s’éveillaient, frissonnantes
de tous leurs dards ; un saule à couronne blanche, un saule précieux que
Gontran et Gabriel s’étaient amusés à orner d’un visage : nez
de carotte, yeux de marrons d’Inde, bouche de pivoine, oreilles
de tournesol, barbe de gynérium,
langue pendante de raifort, cet arbre funèbre et comique inspirait à la fois le dégoût
d’un monstre ivre et la pitié d’un homme vieilli qui s’affaisse
et pleure, en temps de mascarade, sous la risée ; les yuccas,
les palmiers, les dracœnas, les myrtes, les azalées, les camélias
et les rhododendrons prenaient des allures fantastiques ;
les plantes, toutes les fleurs poussées là, depuis les verveines, les myosotis,
les muguets, les mimosas, les primevères, les
héliotropes, jusqu’aux liserons et aux marguerites, jusqu’aux
- ↑ XVe Chapitre.