Page:Dubut de Laforest - Mademoiselle de Marbeuf, 1888.djvu/1

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
DUBUT DE LAFOREST

Mademoiselle de Marbeuf[1]
(FRAGMENT)


MME Juana y Parânos était venue passer la journée du duel auprès de Christiane, à l’hôtel des Champs-Elysées. Les dames déjeunèrent en tête à tête, et, pour répondre à la demande câline de l’Espagnole, on servit le café dans le boudoir ouvert sur une serre merveilleuse. Tandis que Mlle de Marbeuf, en robe gris-perle très simple et boutonnant haut, demeurait debout et pensive contre le vitrail enguirlandé de roses, Juana se promenait, un éventail à la main, fumait des cigarettes, balayait le sable de l’éblouissante traîne de sa jupe rouge vif, en admirant les végétations bizarres : des iris monstrueux soufflaient les parfums empoisonneurs ; des cactus riaient de leurs lèvres sanglantes ; des aloès étalaient des griffes et des pointes de métal verni ; de larges feuilles de velours sombre et aux plaies rougeâtres dormaient, baignées d’eau verte et chaude, et lorsque le doigt de l’étrangère les touchait, ces plantes sinistres se dégageaient des mousses, enflaient le dos, s’éveillaient, frissonnantes de tous leurs dards ; un saule à couronne blanche, un saule précieux que Gontran et Gabriel s’étaient amusés à orner d’un visage : nez de carotte, yeux de marrons d’Inde, bouche de pivoine, oreilles de tournesol, barbe de gynérium, langue pendante de raifort, cet arbre funèbre et comique inspirait à la fois le dégoût d’un monstre ivre et la pitié d’un homme vieilli qui s’affaisse et pleure, en temps de mascarade, sous la risée ; les yuccas, les palmiers, les dracœnas, les myrtes, les azalées, les camélias et les rhododendrons prenaient des allures fantastiques ; les plantes, toutes les fleurs poussées là, depuis les verveines, les myosotis, les muguets, les mimosas, les primevères, les héliotropes, jusqu’aux liserons et aux marguerites, jusqu’aux

  1. XVe Chapitre.